S’il retrouve ses sujets de prédilection comme le rapport aux classes sociales, l’héritage familial et la comédie romantique, Michel Leclerc inclut dans Les Goûts et les couleurs sa passion pour la musique. Plus jeune, il avait même l’ambition de se lancer dans la musique. Il a composé une centaine de chansons et fait partie de plusieurs groupes : « j’ai toujours essayé de mettre le plus possible de chansons dans mes films. Je devais donc forcément me confronter un jour ou l’autre plus directement à cette passion ! » La musique, et la chanson en particulier, sont un marqueur social et culturel fort qui lui permettent de parler de lutte des classes.
Le réalisateur a choisi une péniche comme lieu d’habitation de Marcia et Ivry car c’est à ses yeux la quintessence du schéma chic parisien artiste. « Et puis j’aimais la métaphore de la péniche qui progressivement s’éloigne du cœur de Paris, arrive au Canal de l’Ourcq, puis à Pantin, puis file vers la campagne… Elle exprime bien la trajectoire de Marcia, qui n’a plus les moyens de vivre au centre de Paris, trajectoire inverse à celle d’Anthony. »
Pour créer le personnage de la chanteuse Daredjane, Michel Leclerc s’est inspiré de chanteuses comme Brigitte Fontaine, Catherine Ringer et Patti Smith. « Mais je voulais que Daredjane ait son identité propre, sa véracité, qui passe par des détails comme le fait qu’elle soit toujours habillée en vert – comme Barbara était en noir par exemple. » Ses vêtements font d’elle « La dame en vert », en écho au footballeur Dominique Rocheteau surnommé « L’ange vert », avec lequel le réalisateur lui a inventé une histoire d’amour. Michel Leclerc lui a inventé de toutes pièces une carrière fictive, qu’il détaille : « Daredjane est devenue une vieille rockeuse qui jure un peu avec notre époque mais musicalement, elle a eu une carrière à la Gainsbourg, qui a changé de style au cours des époques. Quand elle débute à la fin des années 60, elle a un côté chanteuse Rive Gauche très timide, qui chante des chansons à texte avec un quatuor à cordes. A mesure qu’on avance dans le temps, elle devient hyper rock, complètement déjantée, très provocatrice ». Il est allé jusqu’à lui inventer des fausses images d’archive.
Michel Leclerc revient sur la manière dont il a trouvé le nom peu commun de sa chanteuse : « Le jour où j’ai rencontré Baya Kasmi [sa compagne et collaboratrice régulière], il y a plus de vingt ans maintenant, on était tous les deux invités dans un café où une jeune poétesse, qui s’appelait Daredjane, disait des poèmes érotiques. »
Le personnage de Marcia s’appelle ainsi en clin d’œil aux Rita Mitsouko. Michel Leclerc s’est inspiré de jeunes chanteuses françaises comme Pomme et Fishback. S’il est plus facile de nos jours techniquement d’enregistrer un album et de le rendre accessible au public, la concurrence est rude et il est plus difficile de bien vivre de son métier. Le réalisateur développe : « Les artistes ont conscience qu’ils sont devenus ‘jetables’, un moment de célébrité est vite passé et n’est jamais garant de la suite. Malgré ses 25 ans et un premier petit succès, Marcia a déjà l’impression d’être un peu has been. »
Le personnage d’Anthony a été inspiré au réalisateur par une coiffeuse qu’il avait rencontrée. Elle était devenue amie avec son voisin, le parolier et scénariste André Hornez, qui lui a légué toute son œuvre à sa mort, soit des centaines de chansons, dont beaucoup de standards de l’époque. « Je l’ai rencontrée à ce moment-là, en plein vertige existentiel. Cet héritage qui lui tombait dessus, du jour au lendemain, avait le pouvoir de changer sa vie. Les demandes d’utilisation des chansons se multipliaient, pour une pub, un spectacle ou autre, elle devait répondre, elle n’y connaissait rien, craignait de mal faire… L’héritage d’une œuvre, c’est une responsabilité ! »
Michel Leclerc signe lui-même les paroles des chansons du film. Il n’a pas voulu faire appel à un parolier car les chansons font partie intégrante du scénario. Il a décidé d’écrire des paroles très directes pour que les spectateurs comprennent facilement leur sens : « à priori, le spectateur ne verra le film qu’une seule fois. Les textes des chansons des grandes comédies musicales sont souvent très simples et immédiatement compréhensibles : "I’m singing in the rain", "Nous sommes deux soeurs jumelles", "Tonight tonight"… » Concernant la musique, deux chansons ont été composées par Pierre Legay, trois par Leclerc, et les autres par David Gubitsch et Jérôme Bensoussan. Ce dernier est un ami du réalisateur pour lequel il a signé la musique de trois de ses films.
Passionnée par le chant depuis toujours, Rebecca Marder a longtemps fait partie d’une chorale et a un père contrebassiste et compositeur : « Je chantais aussi avec lui et il m’accompagnait au piano. J’ai baigné dans la musique et mon désir de devenir comédienne est apparu avant tout par mon amour des comédies musicales. »
Michel Leclerc a envisagé de prendre deux actrices pour interpréter Daredjane à deux âges différents. Mais les effets spéciaux de maquillage de Guy d’Alex Lutz l’ont convaincu de prendre une seule comédienne. Judith Chemla, qui interprète la chanteuse, avait en tête une « gueule » façon Keith Richards et a insisté pour que son vieillissement soit largement visible, voire exagéré à l’écran : « Je voulais que Pierre-Olivier Persin, qui est un maquilleur génial, me fasse presque des cicatrices tellement Daredjane a des rides, qu’on sente une vie bien déglinguée, défoncée, déchirée… Il ne fallait pas l’épargner, au contraire, c’est comme ça qu’elle allait être belle. J’insistais lourdement pour que l’on soit au-delà du réalisme, que la référence ne soit surtout pas moi plus vieille. »