Au Cinéma La Salamandre du SEW - Morlaix, le film « Plan 75 » de Chie Hayakawa était programmé dans le cadre d’un café philo animé par le philosophe Olivier Verdun, autour du thème de l’euthanasie. J’avais raté ce film à sa sortie et j’étais heureuse de pouvoir le découvrir dans ce contexte d’échange.
« Plan 75 » est un programme mis en place dans un Japon dystopique qui ne semble pas, hélas, si utopique, visant à accompagner les citoyens de 75 ans et plus à mourir. C’est un service public géré par une société privée.
Autrefois (quand j’ai commencé ma carrière à La Poste par exemple, à la fin des années 90), le service public visait à informer, relier, soigner, protéger, rendre accessible les services à tous les usagers devenus désormais des clients, selon un système égalitaire et même péréquateur, sans discontinuité. Dans « Plan 75 », ce service public distancie les uns des autres et déshumanise avec zèle, enfermant les gens dans un endroit de haute sécurité, à perpet’. On n’est pas loin du couloir de la mort des maisons centrales. Le vocabulaire est toujours hyper-marketé pour faire passer la pilule (c’est le cas de le dire en l’occurrence, puisqu’une pilule suffit à la population ciblée pour disparaître à bas bruit et dans l’anonymat) : « maison » comme si les lieux d’enfermement ressemblaient à des cocons chaleureux ; « centrale » comme ces bunkers en béton construits en périphérie des villes pour mieux détenir, surveiller et faire oublier. Ainsi, à l’instar des prisonniers astreints aux longues peines, les adhérents au plan 75 sont isolés, reclus et scrutés jusqu’à leur dernier souffle. Sauf qu’eux n’ont commis aucun crime et reçoivent 100.000 yens pour ce paradis.
Comme tous les lieux d’enfermement, celui du plan 75, présenté dans une brochure en papier glacé comme un endroit de villégiature aux mille et un délices (quasi un Club med’ 3 tridents), réduit à néant les seniors (au début, il est question des +75 ans mais le programme fonctionne tellement bien que très vite, il est envisagé de ramener l’âge à 65 ans). Des bureaucrates se chargent de récupérer leurs biens et d’en usurper au passage (on n’est pas loin des dents en or à arracher ou des annulaires coupés pour des alliances en platine devenues trop serrées). Une fois les crémations effectuées (lesquelles, si elles sont collectives sont carrément prises en charge par le généreux état), les cendres sont recyclées en tee-shirt.
Ce sont de jeunes diplômés qui, moyennant de confortables salaires, à l’aide d’arguments positifs et d’éléments de langage traduits en termes de bénéfices, convainquent et encouragent les +75 ans non seulement à adhérer au programme et à ne pas y renoncer en cours de route. La compassion d’accord, dans les limites contractuelles. Jeunes et vieux ne doivent pas se rencontrer pour ne pas s’attacher : un centre d’appel regroupe ces fraîches recrues qui disposent de 15 minutes par semaine pour veiller à mobiliser chaque septuagénaire jusqu’à sa fin programmée (qu’importe son état de santé ou sa vivacité intellectuelle ; qu’importe la transmission).
« Plan 75 » créé de l’emploi et s’inscrit dans une dynamique d’économie circulaire. Exemplaire.
Cela se passe au Japon, qui ne dispose pas du même système de retraite que le nôtre, en France (pour quelques mois encore, en tout cas) et où les seniors travaillent jusqu’à 80 ans ou davantage. En fait, les vieux ne sont plus productifs et coûtent trop chers, ils gênent : « Plan 75 » est La Solution, comme les asiles d’aliénés l’ont été sous la IIIe République, ou les camps de concentration (d’internement) pour isoler Juifs, Arméniens, handicapés, antifascistes, homosexuels.
C’est glauque. Le problème de toute cette glauquitude, c’est qu’elle est vraisemblable. Crédible comme souvent le sont les histoires futuristes d’artistes visionnaires.
L’euthanasie est l’un des thèmes abordés dans « Plan 75 », qui a donné lieu, une fois le film terminé, à un débat irréconciliable et passionné. Et nécessaire. Comme tout sujet sociétal, celui-ci, comme l’IVG, dans la société des années 70, trouvera un début d’apaisement lorsqu’une loi l’encadrera et qu’il sera devenu un droit, protégé. Tant d’emphase, que l’on soit pour ou contre, est la preuve que la société progresse toujours davantage, au service de la liberté, du libre-arbitre et de la dignité.
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