Le réalisateur de « 21 Grammes », « Babel », « Birdman » ou encore « The Revanant » n’est plus à présenter, du moins sur la scène intermédiaire, qui le situe entre son pays d’origine et le pays voisin, voire d’accueil, de ses passions et ses désirs. Alejandro González Iñárritu est pourtant cet homme qui a migré vers les tabous californiens pour ne laisser paraître que l’ombre de lui-même en face de sa personne. Son approche est donc bien semi-autobiographique, à l’instar de nombreux cinéastes, qui peuvent se sentir perdus dans un océan ou une redondance de créativité. C’est pourquoi, il serait fastidieux d’accabler cette œuvre de réutiliser tout ce qui constitue la sève de son cinéma, fluide et dynamique, contrairement à son discours, plus dissonant et qui questionne également la légitimité de cette démarche introspective.
De retour à Mexico, certains y verront la nostalgie de « Amours chiennes », tourné plus de 20 ans auparavant. Et au détour de ce regard en arrière, sa caméra continue d’être au service du présent, métaphorisé par de nombreux effets de style, allant d’une vue subjective, jumelé à une perte de gravité, jusqu’à venir citer Luis Buñuel dans le ton merveilleux qu’il emploie, en harmonie avec la structure de chronique, propice à la juxtaposition d’émotions et de réactions, continuellement à la frontière du réel. L’alter ego du cinéaste mexicain, Silverio Gama (Daniel Giménez Cacho), est donc suivi de près, part une courte focale à grand-angle, qui désarçonne dans un premier temps, mais qui peine à renouveler l’étrangeté de ce dispositif, qui dévoilera rapidement ses limites. Les ruptures de ton peuvent évidemment accroître la force de ce cadre, qui joue avec la symétrie, que ce soit dans le rêve ou dans le cauchemar, des mondes de vie et de mort.
Il ne reste donc plus qu’à venir explorer la psyché du protagoniste, soucieux et inquiet de son statut en tant qu’ambassadeur culturel. Sa crise identitaire vient alors alimenter la confusion qui règne dans son esprit torturé, qui l’oblige à confronter ses traumatismes et sa famille. La charge mentale qui pèse sur le documentaliste l’amène ainsi à repenser sa narration, pour enfin se dévoiler, laisser couler ses sentiments en les cristallisant à l’image. Le titre du film jouait déjà sur une ambivalence, basée sur un précepte bouddhiste, qui évoque l’état intermédiaire entre la mort et la renaissance. Tout ce méli-mélo stylisé, entre l’histoire d’une nation qui perd son identité et un homme qui cherche son véritable reflet, justifie l’errance de Silverio, père de famille en deuil, à la fois d’êtres disparus, de sa notoriété qu’il ne contrôle plus et de ses origines. Cependant, il est bien seul dans ce no man’s land, à contempler son œuvre, très personnelle et qui encourage pourtant peu le spectateur à s’immerger.
Comme pour son protagoniste, Iñárritu ne cesse d’ouvrir des portes et de bâtir des ponts vers son passé. De cette manière, « Bardo : Fausse chronique de quelques vérités » viendra questionner sa part de créativité et de ses désirs en tant que cinéastes, dans un milieu factice qui lui semble détenir un certain charme et une certaine zone de confort. Il utilise la fiction pour raconter le réel, il le démontre de nouveau, mais en déchirant le voile sur ses cicatrices et sa mélancolie. Malgré le défaut de trop vouloir étirer son voyage, dont la destination ne peut qu’être le point de départ, le film parvient tout de même à entretenir la sensibilité, qui se déforme et se reforme, avec autant d’humour que d’amour. Reste à savoir si l’on est passif ou réceptif devant un spectacle dont la durée de vie est aussi limitée qu’un axolotl hors de l’eau.