La figure de style adoptée par Rheingold semble être l’oxymore tant le long métrage se plaît à allier les contraires : l’évolution d’un émigré kurde parmi diverses mafias se conçoit telle une relecture d’un mythe fondateur de la culture allemande, ce qui n’est pas sans évoquer le récent et magnifique Undine (Christian Petzold, 2020) ; le rap, genre dans lequel se spécialise Giwar Hajabi aka Xatar découle d’une formation classique assurée par le père – lui-même compositeur ayant orchestré la rencontre entre ses racines orientales et les traditions européennes –, par la mère qui l’inscrit à des cours de piano et par la fréquentation de l’opéra et du conservatoire ; l’amour trouve une place dans ce destin en se manifestant à distance, derrière une vitre ou dans des vêtements de fonction (vendeuse, responsable du vestiaire de l’opéra), par des signes et des objets intermédiaires ; la gloire naît de la captivité, à la fois par la résistance acquise au fil des épreuves et par ce concours de circonstances qui veut que le premier album édité et vendu soit conçu en prison.
Ainsi, Fatih Akin représente le processus d’immigration comme une richesse infinie apportée et au pays d’accueil et aux familles qui le gagnent, richesse qu’il n’aura de cesse de faire subsister en dépit des difficultés et qui s’incarne dans l’image dernière de l’or cerné de sirènes, allégorie lourdement amenée et répétée par la reprise de l’opéra de Wagner qui prête son titre au film. La subtilité n’a jamais été le fort du réalisateur, en témoigne la complaisance dans les sévices infligés aux personnages et dans le spectacle de trafiquants rendus sympathiques par leur humanité, leurs gaffes et leur guigne.
De tout cela, quelque chose cependant advient : un regard original se porte sur les personnages que la caméra suit sous des formes en constante évolution, traduisant les mutations de corps saisis depuis leurs origines jusqu’à l’âge adulte, corps que le temps transforme sans que la bonté de leur âme ni leurs valeurs n’en soient changées ; une oreille musicale s’affirme par le passage d’une formation de producteur au fait de s’improviser créateur. Et c’est alors tout le film qui éclaire cette transition, ce coup de maître accompli là où d’ordinaire les hommes se taisent et disparaissent de la vie publique : l’espace carcéral offre au protagoniste principal l’occasion de renaître de ses cendres et de fonder un foyer qui tentera, tant bien que mal, de vivre désormais dans la légalité en dépit d’un passé que l’on ne saurait changer et qui s’accroche à ses membres comme une ombre tenace.
Ne pas oublier d’où l’on vient pour savoir qui l’on est et le chemin accompli, telle est la trajectoire du long métrage et du premier album dont Fatih Akin fait ici l’exégèse, telle est la leçon transmise par un père à une fille dont les parents incarnent deux voies possibles de réussite sociale : l’élévation par les études et le travail pour l’une, par les méfaits pour l’autre. Décidément, l’oxymore partout.