Après ses courts métrages Le Repas Dominical (2015), qui a remporté un César, et Gros Chagrin (2017), qui a obtenu un prix à Venise, Céline Devaux a eu envie de faire un film hybride, mélangeant différents types de procédés. La réalisatrice explique :
"J’ai réussi à parler de chagrin et d’amour, des thèmes importants pour moi et j’ai découvert pour la première fois le travail avec les acteurs. Je suis heureuse d’avoir fait Gros Chagrin mais je crois que je suis restée un peu polie."
Avec Tout le monde aime Jeanne, Céline Devaux voulait parler d’expatriation (une thématique liée à son parcours puisqu'elle n'a pas grandi en France) et de l’inquiétude individuelle ("Suis-je une bonne personne", etc.) qui nous concerne tous dans un monde d'incertitude. La cinéaste développe :
"Nous sommes dans un monde où l’information est omniprésente, dans un état de vigilance permanent. Le pire c’est qu’on s’habitue presque à ça. En fait, si on analyse la situation, c’est quasiment la définition clinique de la dépression : se lever, savoir que tout est merdique et n’avoir aucune possibilité d’agir."
Céline Devaux ne savait pas qui allait jouer Jeanne, ce qui lui a posé problème pendant l'écriture. Puis, la réalisatrice a imaginé Blanche Gardin dans la peau de cette héroïne, ce qui lui a donné de l'inspiration : "Le fait qu’elle existe et qu’elle soit si brillante me suffisait, me motivait."
"Finalement on s’est rencontrées, elle a lu le scénario, elle l’a aimé, elle a fait plein de remarques évidemment géniales. Qu’elle ait accepté de faire le film, cela a été pour moi un cadeau. Blanche a une sobriété de jeu admirable, elle a proposé quelque chose qui était totalement au service du film et du personnage."
Le petit fantôme que l'on voit dans Tout le monde aime Jeanne est une créature chevelue, ni homme ni femme, qui harcèle l'héroïne toute la journée : "Une sorte de représentation de la honte. C’est aussi la mémoire de toutes les voix entendues qui s’accumulent dans le cerveau de Jeanne", précise Céline Devaux, en poursuivant :
"Les longs cheveux, ça me faisait d’abord rire, mais ça me permettait surtout de transformer ce petit fantôme, de jouer avec son apparence. J’avais envie de raconter ce qui se passe dans la tête de cette femme qui perd complètement pied. C’est aussi un ressort comique énorme, parce qu’on peut jongler entre ce qu’elle dit et ce qu’elle pense vraiment."
Tout le monde aime Jeanne a été présenté à la Semaine Internationale de la Critique au Festival de Cannes 2022 en séance spéciale.
Céline Devaux a la même technique depuis qu'elle a commencé à faire des films : elle dessine tout à la main, avec de la peinture acrylique ou des feutres sur une feuille transparente. "Sous cette feuille, j’ai une tablette lumineuse, et au-dessus, un appareil photo. Je dessine sur cette surface qui me permet de gratter la peinture, de faire évoluer le même personnage sur un même support et d’improviser", explique la cinéaste.
Céline Devaux a rencontré le compositeur Flavien Berger lorsqu'ils étaient étudiants. Les deux amis sont partis à Lisbonne pendant l’écriture du scénario, pour se faire une cartographie de souvenirs sonores (des sons de la ville, d’événements particuliers, etc.). La réalisatrice se rappelle :
"Dans les musiques que Flavien a composées pour le film, il y a aussi des sons de la vraie vie : des bruits de moteur, des bruits aquatiques, des bruits de rue. C’est un orchestre de sons réels et inventés, organisés pour qu’on ne sente pas les coutures, qui nous transporte sans qu’on puisse comprendre comment ni pourquoi, et il ne reste que l’émotion."