Pauvres créatures a obtenu le Lion d'or au Festival de Venise 2023.
Pauvres créatures a été nommé à 11 reprises aux Oscars et aux BAFTA 2024. Il a remporté 4 récompenses dans la première cérémonie, et 5 prix dans la seconde, dont à chaque fois celui de la meilleure actrice pour Emma Stone. Celle-ci a aussi obtenu le Golden Globe de la meilleure actrice dans une comédie, et le long-métrage a été salué par le prix du meilleur film, catégorie comédie.
Pauvres créatures adapte le roman du même nom d'Alasdair Gray, paru en 1992. Le réalisateur Yorgos Lanthimos désirait en faire un film depuis longtemps, et a même été en contact avec l'auteur, aujourd'hui décédé : "Il y a d’emblée quelque chose de visuellement frappant et de dense, qu’il s’agisse des thèmes qu’il aborde, de son humour, de la complexité des personnages et de la langue. Je n'avais jamais rien lu de tel auparavant et j'ai été très impressionné. Alasdair Gray était peintre. Il a illustré son texte qui, globalement, évoque la liberté d'une femme dans la société. Un tel matériau ouvrait vraiment la voie pour raconter une histoire comme celle-ci."
Andrew Gray, le fils de l’écrivain, déclare : "Mon père et Yorgos se sont rencontrés à Glasgow et ont fait le tour de la ville, en visitant les lieux associés au roman. Alors qu’il avait auparavant refusé d'autres offres d’adaptation, il a été sensible au fait que Yorgos ait pris le temps de le rencontrer personnellement. C'était le moyen de communication qu’il préférait : marcher et montrer la ville dans laquelle il a vécu toute sa vie. Après cette rencontre, mon père a acheté le DVD de Canine, qu'il a beaucoup apprécié, et je crois que c'est sur ce film qu'il a fondé son opinion sur les talents de Yorgos."
Le scénariste Tony McNamara déclare : "L'histoire du film est peut-être plus pertinente aujourd'hui qu’au moment où nous avons commencé à l'écrire. L'idée du patriarcat et des jeunes femmes qui se libèrent de leur condition d'objet a pris une ampleur nouvelle dans la société. J'espère que cela transparaît dans le film." "Je veux que le public comprenne qu'il s'agit d'un film politique et qu'il en reconnaisse les aspects féministes et sociaux", ajoute Andrew Gray, le fils d'Alasdair Gray. "L'objectif du roman comme du film est de rendre le monde meilleur, en refusant les maux que nous sommes venus à considérer comme normaux."
Pour le scénariste Tony McNamara, Pauvres créatures est le récit d'un passage à l'âge adulte mais "s’inscrit dans une version dystopique d'une production Merchant/Ivory, avec l'idée d'un grand voyage." Si le livre est raconté depuis de nombreux points de vue, l’équipe artistique a privilégié celui de Bella. McNamara et Yorgos Lanthimos souhaitaient aussi offrir une version de l'histoire de Frankenstein, inversant l'intrigue classique en faisant du "monstre" une femme très perspicace, et de ses amants des monstres potentiels. Le producteur Ed Guiney souligne : "Le scénario s'inspire de différentes mythologies et histoires, les mêlant en un cocktail incroyablement original et capiteux."
Pauvres créatures est la troisième collaboration entre Emma Stone et Yórgos Lánthimos, après La Favorite et le court-métrage muet en noir et blanc Bleat. L'actrice raconte au sujet de sa relation avec le réalisateur : "Nous sommes presque à l'opposé l'un de l'autre. Il est très mesuré dans son approche alors que j'ai envie de rire et de m'amuser. Une combinaison choquante pour nous deux, mais c'est l'un des plus beaux cadeaux que j’ai reçu dans ma vie. J'ai pour lui une admiration que je ne saurais exprimer par des mots. C'est un véritable génie et cela a été un honneur de travailler avec lui. Je lui fais implicitement confiance, ce que je ne ferais avec personne d'autre."
C'est sur le tournage de La Favorite qu'Emma Stone a découvert l'existence du livre d'Alasdair Gray, à la suite d'une conversation avec Yórgos Lánthimos : "imaginer un monde où votre esprit n'est pas conditionné par la manière dont vous avez grandi et dont vous avez appris à vous comporter." Elle était emballée à l'idée de porter ce récit à l'écran : "Yorgos comprend, aime et raconte brillamment des histoires de femmes. Je le savais grâce à notre travail commun. Sans oublier que de nombreux chefs de départements sont des femmes, de même que notre première assistante réalisatrice."
L'actrice est aussi productrice du film. Le producteur Ed Guiney souligne : "Emma a un instinct incroyable pour tout ce qui touche à la narration. En tant que productrice, elle a joué un rôle très important dans la façon dont nous avons développé l'histoire et dont nous avons envisagé de la présenter au monde".
Le scénariste Tony McNamara décrit le film comme une satire brûlante sur les hommes : "Pauvres créatures explore vraiment la vision que les hommes ont des femmes, le regard qu'ils portent sur elles, et comment ils pensent qu’elles sont là pour les servir. Nous étions très conscients des enjeux et de leurs liens avec le présent. Le film traite de la tension patriarcale à travers les yeux de Bella, et le ton choisi par Yorgos pour l’aborder ne pouvait avoir meilleur écrin qu’une salle de cinéma."
"Le film traite de l’évolution et de l’émancipation d'une femme qui grandit dans une société masculine très répressive", précise Willem Dafoe. "C'est une grande source de comédie car ses relations avec les personnages masculins sont très franches et révèlent la peur que ceux-ci ont des femmes."
Emma Stone confie à propos de Bella Baxter : "J'étais excitée et effrayée pour tout un tas de raisons. Bella n'a ni honte, ni traumatisme, ni passé. Elle n'a pas été élevée par une société qui dicte ses contraintes aux femmes. Cela peut être incroyablement libérateur car il n'y a vraiment aucune recherche à faire pour l’explorer. Bella s’inspire des hommes et des femmes qu'elle rencontre, de l'environnement dans lequel elle évolue, de ce qu'elle mange. C’est une véritable éponge."
Une part importante de l'histoire de Bella a trait à sa sexualité, le personnage ne ressentant aucune culpabilité à l'explorer. L'actrice n'a jamais remis en cause les scènes de sexe du film. "Dès que je parlais de sexe, elle répondait : 'Oui, bien sûr, il s'agit de Bella. Nous ferons ce que nous avons à faire'"*, se souvient le réalisateur. Celui-ci a engagé Elle McAlpine en tant que coordinatrice d'intimité : "Au début, cette profession semblait un peu menaçante pour la plupart des cinéastes, mais je pense que c'est comme tout : si vous êtes avec une bonne personne, c'est génial et vous vous rendez compte que vous avez besoin d'elle. Elle a rendu les choses beaucoup plus faciles pour tout le monde."*
(*Citations issues de The Journal Times)
L’équipe artistique a d’abord considéré des villes comme Budapest ou Prague pour le tournage. Toutefois, inspiré par les films des années 1930, Yórgos Lánthimos a commencé à explorer l'idée de construire un monde propre en partant de zéro. Il voulait que les décors soient visibles à l'écran et qu'ils fassent partie intégrante du film : "Il fallait créer un monde pour que Bella puisse l'habiter. Il ne pouvait pas s'agir uniquement d'un univers réaliste. Nous avons donc essayé d'élargir la période et d'insérer des éléments qui font allusion à une certaine époque et permettent d'aller vers le conte de fées ou la métaphore. Se mêlent au final divers éléments qui relèvent de la science-fiction, de l'anachronisme mais aussi de l'imaginaire."
Pour relever ce défi, deux chefs décorateurs ont été recrutés : James Price (The Nest) et l'artiste et scénographe Shona Heath, qui n'avait jamais travaillé sur un long-métrage. James Price confie : "C'est une situation assez singulière que d'être invité à collaborer avec un autre chef décorateur. Mais devant l’ampleur de la vision de Yorgos, c’est vraiment un coup de génie de nous avoir réunis. Il aurait été impossible pour une seule personne de tout faire : deux têtes valaient mieux qu'une." Shona Heath poursuit : "La dynamique entre James et moi était parfaite. Nous sommes complètement différents mais nous nous entendons à merveille. James m'a dit : 'Tu travailles à partir des détails et moi à partir des grands bâtiments, et nous nous retrouverons au milieu'."
La cheffe décoratrice Shona Heath s'est beaucoup inspirée des dessins satiriques du Paris de la Belle Époque exécutés par Albert Guillaume et jugés futuristes en leur temps : "Nous avons toujours essayé d'imaginer que l'histoire se déroulait dans le passé, mais avec la vision du futur". Le réalisateur confie : "Je voulais aussi faire un film old school, à la manière de Federico Fellini ou de Michael Powell & Emeric Pressburger. Nous avons donc regardé certaines de leurs œuvres ainsi que celles de cinéastes plus contemporains comme Roy Andersson connus pour tout réaliser en studio."
La production a ainsi investi plusieurs plateaux aux studios Origo de Budapest, où elle a construit les mondes complets de Londres et la maison de Baxter, le paquebot, la place de Paris et le bordel, l'hôtel d'Alexandrie et les bidonvilles. Pour la ville de Lisbonne, elle a utilisé le plus grand plateau d'Europe continentale aux studios Korda de Budapest. Les décors étaient si vastes qu'il n'était pas possible de tout construire. C'est pourquoi des toiles de fond peintes, de la rétroprojection et des écrans LED ont été utilisés.
La cheffe coiffure et maquillage Nadia Stacey collabore pour la troisième fois avec Emma Stone, après La Favorite et Cruella. En lisant des articles sur les femmes de l'époque victorienne, Stacey a remarqué que ce qui importait le plus était souvent les règles à suivre. À l'époque, ce qui était considéré comme féminin et attirant pour les hommes, était les cheveux très longs à condition qu’ils soient uniquement portés à la maison. C'est pourquoi Stacey a décidé que Bella ne porterait jamais ses cheveux relevés.
Pour le rôle de Swiney, Nadia Stacey a envoyé au réalisateur une photo de référence d'une femme victorienne couverte de tatouages et lui a proposé que dans une scène Swiney se révèle couverte de tatouages de la tête aux pieds. La cheffe maquilleuse a dessiné plus d'une centaine de tatouages différents. Il a fallu quatre heures pour les appliquer sur Kathryn Hunter.
Ces dessins, qui étaient censés s'effacer après une douche, sont restés trois jours sur le corps de l'actrice, qui confie avec philosophie : "Je commence à prendre de l'âge. Je n'aurais jamais pensé à me faire tatouer, mais s'ils n'avaient pas disparu, j'en aurais été très heureuse". (Citation issue de Vulture)
Nadia Stacey a puisé sa principale référence pour Baxter dans les peintures de Francis Bacon, même si créer un look similaire avec des prothèses représentait un sérieux défi. Cela nécessitait six heures de maquillage par jour : "quatre heures de travail, deux heures de repos pour que ça tienne", explique Willem Dafoe. "Je me présentais à trois heures du matin, quand le reste de l'équipe avait rendez-vous à sept heures. Je m'asseyais sur une chaise, je méditais en tentant de rester immobile. Vous ne pouvez pas dormir parce que c'est assez complexe, vous devez collaborer avec les personnes qui appliquent le maquillage et les prothèses".
Malgré cette lourde contrainte, le comédien n'a pas détesté le processus : "Vous ne pouvez pas vous raccrocher à votre visage parce qu’il est effacé. Vous en avez vraiment un nouveau. Tout artiste digne de ce nom vous dira que c'est une situation passionnante".
Yórgos Lánthimos tenait à tourner en ektachrome, un type de pellicule fabriqué par Kodak. Mais le réalisateur le voulait en 35 mm, ce qui signifie devoir le tailler d’une certaine façon. Comme il n'était pas possible de l'acheter directement, l'Ektachrome en 35 mm a été fabriqué spécialement pour les besoins du film. Il s'agit essentiellement d'une pellicule à inversion de couleurs - positive et non négative. Plus vibrante, elle préserve l'aspect original et fourmille de couleurs et de détails.
Damien Bonnard est au casting de Pauvres créatures. L’acteur français ayant livré des prestations de haute volée dans Les Misérables, Les Intranquilles ou Le Sixième enfant avait annoncé, en juin 2023 sur Instagram, qu'il aurait une scène dans le film de Yórgos Lánthimos. Plus précisément, il joue un père de famille qui a une interaction avec Emma Stone dans une séquence amusante qui se déroule à Paris. Ce n'est pas le seul Français présent dans Pauvres créatures, puisque Suzy Bemba (L'Opéra, Tout va bien) y est également.