Inspiré apparemment d’une histoire vraie, « La fille d’Albino Rodrigue » est un film court, assez dense et qui n’est pas dénué d’intérêt, loin de là. Même si la réalisation de Christine Dory est tout à fait académique et sans relief particulier, le film est suffisamment bien scénarisé et monté pour que sur 90 minutes, on soit en pleine empathie avec cette gamine aussi obstinée que courageuse. Le film doit énormément à son casting et en premier lieu à la jeune Galatea Bellugi, qui tient son rôle comme une grande. En promenant son air buté et ses sourcils froncés, elle incarne une jeune fille qui se bat avec les maigres armes que la vie lui a données. On devine beaucoup de choses de son passé au détour d’un dialogue, d’une allusion : elle est quasi illettrée, a été placée très tôt dans une famille d’accueil car gravement négligée par ses parents, tout comme son grand frère. On sent dans le regard dur de Rosemay une enfance compliquée. Elle semble avoir compris trop vite que, dans la vie dont elle a hérité, elle ne pourrait pas beaucoup compter sur les autres. Et en premier lieu sur sa mère, immature et toxique parfaitement incarnée par une Emilie Dequenne qu’on a rarement vue dans un rôle comme celui là.
Menteuse pathologique, manipulatrice et égoïste, elle aime (peut-être) ses enfants, mais surtout elle les utilise. Le fait que sa fille vive si loin d’elle semble très bien lui convenir
. Le père,
qu’on ne verra jamais
, ferrailleur et brocanteur est surtout beaucoup plus vieux que sa femme. Et puis le grand frère, fuyant comme une anguille, a eu la même enfance ravagée que sa sœur mais lui, semble avoir mal tourné. C’est Matthieu Lucci qui tient le rôle de ce garçon à la dérive,
qui semble porter en permanence un secret trop lourd pour lui
. Si on ajoute à ce casting le toujours impeccable Samir Guesmi et la (trop) discrète Romane Bohringer, on obtient une distribution de grande qualité qui apporte beaucoup au film. Où est le père de Rosemay ? Il ne se passe pas très longtemps pour que l’on devine où le film va nous emmener. Je ne crois pas qu’il faille chercher dans ce long-métrage un quelconque suspens de film noir, nous ne sommes pas dans un thriller.
Au bout d’un quart d’heure de film, au détour d’une conversation entendue, on comprend vite vers quoi on se dirige. « La Fille d’Albino Rodrigue »
, c’est surtout le portrait de deux femmes, la mère et la fille. Tout les oppose, la mère est clairement immature et égoïste alors que sa fille de 16 ans est déjà pleine d’assurance et de courage. Je trouve que le portrait de Marga, la mère toxique, est parfaitement dessiné, elle ment sans arrêt, ça se voit, mais elle le fait avec l’aplomb de celle qui n’en éprouve aucune culpabilité, elle souffle le chaud, le froid, fais des câlins ou offre des cadeaux pour détourner l’attention, manipule, tout ça sans jamais élever la voix, sans jamais crier, sans aucune violence ni physique ni verbale. A côté de cela on a une gamine qui cherche l’amour de sa famille biologique et qui ne la trouve ni avec sa mère, ni réellement avec son frère. Le seul, finalement, qui semble l’aimer sans arrière pensée c’est son père. Quasi illettrée mais intelligente et pugnace,
elle cherche et elle trouve, elle écrit (difficilement mais avec application) à la Police et à la Justice, elle pose les bonnes questions jusqu’à acculer les menteurs.
J’aime bien aussi la relation qui se noue avec Socha, la petite qui déboule sans crier gare dans la famille d’accueil. Au début, Rosemay est hostile
(on la voit avec angoisse reproduire les techniques de manipulations de sa mère)
et puis elle parvient à nouer, un pas après l’autre, des relations de grande à petite sœur, elle conjure le sort, en quelque sorte.
Et c’est dans cette relation avec Socha que l’on comprend que Rosemay est sauvée, qu’elle ne reproduira pas le comportement maternel, que sa vie sera « belle »
. J’aime bien ce scénario, bien qu’il soit sans surprise, le portrait de ces deux femmes est réussi, sans manichéisme et sans caricature, il y a beaucoup de finesse dans ces personnages. « La Fille d’Albino Rodrigue » est un film assez réussi, et qui offre à Emilie Dequenne et Galatea Bellugi deux beaux rôles « miroirs » de femmes fortes.