« La Conférence », le film du réalisateur allemand Matti Geschonneck, ne semble pas rencontrer en salle le succès qu’il mérite et c’est bien dommage. Il faut dire que du pure point de vue du cinéma, le film n’est pas facile d’accès. Peu de décors, pas de musique, une réalisation proche de celle d’un téléfilm (un générique de début et un générique de fin très austères), pas d’effet de caméra d’aucune sorte, pas de hors champs, quasiment que des plans fixes, Matti Geschonneck n’avait pour tout dire aucune autre possibilité. La gravité du sujet impose cette sobriété absolue. Le film déroule en temps réel, soit un peu plus de 90 minutes, une conférence à 15 participants. Alors ce sont les dialogues et leur qualité qui doivent être au centre du film, les dialogues et les personnages bien entendu. Le film est proposé en VOST et comme je ne parle pas l’allemand, il m’a fallu m’accrocher en permanence aux sous-titres pour ne rien rater de cette conférence unique dans l’Histoire de l’Humanité. A vrai dire, l’existence même de cette conférence est une découverte historique faite presque par hasard, grâce à un compte rendu jamais détruit par Eichmann, surement fier du travail scrupuleux qui fut le sien. Il est certain qu’un film aussi aride dans sa forme et éprouvant sur le fond ne racole pas le spectateur. C’est un petit effort à faire que de consacrer 2 heures à « La Conférence » et ce n’est pas un film qu’on va voir avec des pop corn en main. Mais c’est un effort nécessaire car le film est une démonstration de ce que fut la machine d’extermination nazie. Bien-sur, aujourd’hui nous savons ce que fut la Solution Finale et son cortège d’abominations. Mais c’est une chose de le savoir, c’est autre chose que de voir comment elle fut pensée et mise au point. Le scénario montre avec une lumière froide l’aspect industriel et administratif de la Solution Finale. Dans cette conférence, on dresse des tableaux, on parle chiffre, logistique, argent (beaucoup), on s’inquiète de la sensibilité des exécutants allemands, on ergote sur les dispositions législatives et surtout, on défend ses ambitions et son pré-carré. En exagérant juste un peu, on peut considérer que la conférence de Wannsee est menée comme une réunion d’entreprise : il y a des objectifs à atteindre, et on doit envisager toutes les options pour les atteindre, lever les obstacles, essayer de ne pas favoriser un collaborateur au détriment d’un autre, économiser ici pour mieux dépenser là, etc… Les mots « mort » ou « assassinat » ne sont jamais prononcés et pour cause, on ne parle pas de personnes mais d’un « problème » à régler. Les juifs sont chosifiés, réduit à une donnée statistique, un objet qu’on déplace, qu’on détruit, qu’on fait disparaitre. A chaque fois que l’on croit à un début de commencement de scrupule, de doute, le film nous ramène vers la réalité. Untel s’inquiète du côté inhumain et éprouvant des assassinats d e masse, mais au bout de quelques répliques, on se rend compte qu’il s’inquiète de la protection psychologique des soldats allemands, et de rien d’autre. Plus on avance dans la réunion, plus la réalité des camps, des chambres à gaz, des fours crématoire devient concrète et tangible, plus on comprend que pas un n’émettra la moindre petite objection. On est même surpris, je l’avoue, qu’aucun des participants ne soit perturbé dans sa foi (ils ne peuvent pas tous être athées, c’est statistiquement improbable à cette époque) par ce qui se dit. Le scénario devait éviter, à mon sens un écueil, celui de laisser penser qu’il y avait parmi c’est 15 nazis des extrémistes et des nazis plus « modérés » (bien que les deux mots soient incompatibles), de mettre en scène des nazis moins infréquentables que d’autres. Si on a pu croire, à quelques moments du film que ce serait le cas, le scénario remet tout en place illico : si certains sont réticents, c’est pour une raison d’ambition personnelle ou de vanité, et rien d’autre. Les comédiens allemands excellents qui composent le casting me sont inconnus. Je souligne néanmoins l’interprétation de Philipp Hochmair en Reinhard Heydrich étonnement affable et souriant et Johannes Allmayer en Eichmann. Prototype du fonctionnaire obéissant et zélé, on ne perd jamais de vue qu’il finira au bout d’une corde et que c’est 5 à 6 millions de fois mérité. Et puis j’aurais bien aimé être dans la tête de cette sténo qui prend en note toute la conférence, cette petite blonde souriante, à priori sympathique, a-t-elle réellement eu conscience de ce qu’elle écrivait sans trembler sur son petit bloc-notes ? A la fin du film, on ne peut s’empêcher de s’interroger : de ces 15 hommes, combiens seront pendus ou fusillés après la guerre, et combien sont passés entre les mailles du filet ? C’est presque frustrant que le film ne le précise pas en conclusion.