On est ressorti de Men avec une irrépressible envie de discuter de ce qu'on pense avoir extirpé de ces scènes hallucinatoires aussi fascinantes que dérangeantes. On s'est tant pris au jeu du décryptage des symboles qu'on n'a pas vraiment vu tous les "mécanismes" tant décriés par ceux de la critique qui n'ont pas aimé, jugeant le film boursouflé par sa partie technique : pour notre part, on n'a pas remarqué que
l'ensemble des hommes était joué par un unique acteur grimé (Rory Kinnear, brillant),
on était trop occupé à réfléchir justement à ce qu'ils représentent pour cette femme allergique aux hommes après un lourd passif, aux messages qu'ils véhiculent : de l'hôte qui ne le fait pas exprès avec sa galanterie excessive, à l'ignoble curé qui ne voit pas le mal à battre sa femme et a des gestes de pervers sexuel... On monte crescendo en envie de retourner des meubles, tandis que Jessie Buckley, comme toujours viscérale, s'enfonce dans le cauchemar machiste, jusqu'au final où l'on aborde un virage à 180° avec un body horror cathartique (toute la violence et la douleur de la procréation infligée au centuple aux hommes) contre-nature et jusqu'au-boutiste
(l'accouchement par le dos ou la bouche...il fait chaud, non ?),
donc forcément réussi. Si l'on veut bien se laisser couler dans ce délire horrifique bien monté, en essayant de ne pas se braquer sur sa forme (évidemment clinquante, ne seraient-ce que les scènes de cauchemars bordéliques), Men déploie avec intensité son intrigue terrifiante sur l'oppression masculine définitivement plus proche d'une vraie envie artistique que d'un opportunisme post-MeToo facile (le principal risque de pareil scénario aujourd'hui). La photographie nous a aussi tapé dans l’œil, avec son jardin filmé large pour profiter de son potentiel inquiétant (la lumière qui saute, un personnage louche qui disparaît, et voilà une scène d'angoisse à l'ancienne, terriblement efficace), les paysages verdoyants, l'homme-chêne dans la fumée éclairée... L'allégorie du jardin d'Eden (où la femme est fautive) est assurée par le pommier, tandis que l'homme-chêne signifie plutôt le côté immuable (le chêne étant le symbole de la solidité, de l'inflexibilité) de cette nature dominante (évidemment il ne faut pas tomber dans le piège de la généralisation, il s'agit bien de la représentation de la masculinité toxique au profit de l'horreur du film). Men nous a tiré de force, sans ménagement, dans son engagement féministe décuplé par le genre horrifique. Beaucoup détesteront, et on les comprendra, mais on aimé se faire malmener, surtout si c'est pour se rincer l'oeil sur une belle photo, vivre le cauchemar avec la talentueuse Jessie Buckley, et jouer sur des peurs viscérales (les femmes battues, le harcèlement, l'accouchement douloureux) qui font mal, très mal.