Darren Aronofsky est un cinéaste qui accorde autant d’importance au corps qu’à l’esprit, une habitude qui s’est confirmée au fil de sa carrière (Requiem for à Dream, Black Swan, Mother!). Le détour par le fantastique ne l’a pas toujours aidé (The Fountain, Noé), car l’enfant de Brooklyn manie mieux le style visuel de la psyché que celui d’un décor numérique. Toutefois, il reconnaîtra qu’il sait bien s’entourer. De grosses têtes d’affiche à l’appui ou bien récupèrent des outsiders pour leur offrir la rédemption qu’ils méritent, le défi est plus que raisonnable. C’est en tout cas le gros point commun que partage ce dernier film avec son « The Wrestler », réhabilitant ainsi Mickey Rourke auprès de sa fille. Mais quand bien même, la pièce du Samuel d. Hunter a su conquérir le cœur du cinéaste, le plus difficile reste de prouver l’efficacité de l’adaptation.
Charlie vit seul et enseigne à distance des cours, où il prône l’honnêteté. Au diable le fond et au diable le cynisme, il est à la recherche de la perle rare, une dissertation capable de toucher son âme. Le hic, c’est qu’il est emprisonné d’une enveloppe graisseuse, l’empêchant ainsi de se dévoiler à ses élèves. Il est dépendant de cette obésité, qui le cloue dans son canapé. Chaque mouvement le fait de plus en plus agoniser, que ce soit pour ses tâches rudimentaires à domicile ou tant que son cœur bat encore. C’est acté, il ne lui reste plus longtemps à vivre dans ces conditions. Nous pourrions alors discuter les motifs du « fat suit », mais ce serait surtout une erreur de passer à côté du comédien qui le porte. De « George de la jungle » à « La Momie », Brendan Fraser a connu mille péripéties avant de retrouver un premier rôle sur grand écran.
Il n’est plus l’aventurier d’autrefois, séduisant et musclé, c’est d’ailleurs tout le contraire. Ce dernier remonte donc par le fond et a pour ambition de donner vie au monstre du récit, une baleine hors de l’eau, plongée dans une culpabilité qui conditionne son état de santé. Il ne mange pas pour vivre, mais pour expier ses péchés, pour se donner la mort qu’il semble avoir accepté. Pas de bol pour lui, son infirmière Liz (Hong Chau) entrave son sabotage. De même, un jeune garçon perdu (Ty Simpkins) vient dessiner un chemin de croix. Tout le monde se donne rendez-vous dans l’antre de la bête, pas plus affamée qu’une autre, pour combler un certain vide dans leur vie respective. Et alors qu’Aronofsky analyse la dépression mentale de son sujet à coup de pathos, bien appuyé, le nœud de toute cette affaire bascule dans la relation tendue entre Charlie et sa fille, Ellie (Sadie Sink), une adolescente aussi vulgaire que turbulente.
Chacun y montre sa détresse, avec les armes qui leur son propre. Tout les ramène ainsi à combattre leur traumatisme, mais ce sont finalement les dialogues explicatifs qui écraseront l’empathie envers le héros. La composition de Rob Simonsen se glissait pourtant subtilement dans la narration, qui offre l’élan nécessaire aux personnages, afin qu’ils se rapprochent les uns des autres. Malheureusement, la cruauté que l’on met au service du récit n’est pas toujours pertinente. Ellie se voit comme Achab, pourchassant une baleine par obsession ou rédemption, mais « The Whale » ne voit pas cette opposition du même regard. Ce huis clos paraît trop artificiel pour qu’on en accepte les coutures, trop visibles et trop morbides, mais qui raviront sans doute les aficionados du metteur en scène, qui peut néanmoins compter sur l’optimisme de son comédien, enfin prêt à prendre sa revanche sur sa vie et sa carrière.