(Attention bcp de spoiler) Il se trouve que le Comte de Monte-Cristo est mon livre culte. Mon best, mon top of the top. Alors forcément, lorsqu'une grosse production, surfant sur les succès de l'adaptation des Trois Mousquetaires (encore Alexandre Dumas), propose de capturer plus de 1200 pages de péripéties et d'aventures palpitantes et d'un vengeance cuisinée aux petits oignons, en un film, le fan d'Alexandre Dumas que je suis, a peur.
Mais ayant plutôt apprécié le premier opus des mousquetaires, bon, pourquoi pas... Je me suis donc assis au cinéma pour la dernière séance de la journée. Autour de moi, des jeunes couples, d'autres plus âgés, des seniors. Logique, la promesse de l'intrigue du Comte de Monté Cristo a de quoi résonner auprès d'une audience universelle. Dans le récit, l'auteur français y manipule tout ce qui touche à l'homme : l'épique, l'amour, la trahison, la quête du bonheur, mais aussi du malheur, ainsi que la justice, rien que ça. L'écrivain a plus de 1200 pages à disposition pour jongler avec tous ces ingrédients de l'existence, avec nuance et finesse. Le film n'a que 3h...
Je commence alors le visionnage avec un sentiment que je déteste emporter avec moi au cinéma, l'attente. Je sais, dès que la première image est projetée à l'écran, que je serais intransigeant avec chaque plan du film, au risque, malheureux, de me gâcher l'expérience de l'œuvre qui, lors que je m'apprête à la regarder, a déjà trouvé un grand succès critique auprès des spectateurs.
Et je comprends assez vite les raisons de cet enthousiasme du public. Les grands moyens ont été utilisés pour réaliser ce film ambitieux.
Cela se voit dès la première scène du sauvetage dans la mer, ou plus tard, lorsque l'équipage arrive dans un port de Marseille, plein de vie, de 1815, grâce à un beau travail de costume et de décors.
Cet effort, qu'on le retrouve dans les deux opus des Trois Mousquetaires, se poursuit sur le reste du film, à l'occasion des scènes jouées dans le milieu mondain parisien dans le château du Comte. La musique porte intelligemment l'intrigue et l'histoire, offrant une véritable expérience sensorielle tantôt instrumentale, tantôt électronique.
Mais le premier " mais " arrive. Malgré tous ces aspects de forme maitrisés, il reste un problème : le langage !! Certain dialogues sont extrêmement bien écrits, notamment celui entre Dantés et de Villefort, ou le moment au Albert lutte pour percer la carapace d'Haydée avec des échanges tranchants et merveilleux entre les deux protagonistes. Cependant, cela reste trop inégal. A mon avis, plusieurs dialogues semblent ne pas avoir été écrit avec la même rigueur. Dumas est un dramaturge. Il maitrise le verbe comme personne et prête à tous ses personnages le luxe de s'exprimer avec poésie et philosophie. Tout le temps ! Je me suis surpris à râler doucement en entendant des " ferme ta gueule " ou des formules trop familières.
Sur le fond, il y a beaucoup de choses à dire. La première critique : le film est beaucoup trop francocentré. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j'ai vu Mercedes, fille d'une noble famille française, avec le titre de Morcerf au début du film. Non messieurs les scénaristes ! Dans le livre, Mercedes est nommée l'espagnole. C'est une gitane, qui vit modestement dans un village à quelques lieues de Marseille avec des gens du voyage. Avec Fernand, ils ne deviennent de Morcerf que par la suite. S'il n'y avait que cela... Concernant le trésor, c'est du délire ! Il n'est en aucun cas question de Templier, de croisades et de chevalier dans l'œuvre de Dumas. Pourquoi avoir pris cette liberté ? Si le scénario omet des détails du livre, pourquoi en avoir inventer ? Si ce n'est arranger les petits détails du film pour le faire rentrer dans un moule uniformément franco-français, avec le culte des chevaliers de croisades en toile de fond. Mis à part la scène où Haydée chante un air oriental sublime et quelques dialogues en grec, le film manque d'horizons, d'ouverture et de diversité. Ici, je ne parle pas de couleurs de peau mais de bien de références culturelles.
Car la richesse de l'œuvre de Dumas tient au fait que l'histoire soit influencée par d'innombrables cultures. Un très long passage du livre prend place en Italie, lors du carnaval de Rome. La culture orientale est aussi très présente dans le livre. Le Comte se fait appelé Simbad le marin, en référence au personnage du conte des 1001 nuits. Et petit détail, le Comte prend du haschich (du shit) et non de l'opium, comme mentionné dans le film. Ces derniers éléments qui font voyager, qui donnent une dimension universelle et d'ouverture passent à la trappe. Dommage. Il est vrai que condenser 1200 pages en 3 h est ardu. De plus, malgré la durée du film, le récit est trop dense, trop riche, et on le rythme s'affoler après le passage de la prison. Un film ne suffit pas, pourquoi ne pas l'avoir réalisé en deux opus ?
J'ai malgré tout passé un bon moment. D'où la note de 3 que je mets au film. Cependant tous ces petits changements, arrangements font que je ne retrouve pas cette puissance qui est offerte par le livre, dont le récit est passé dans un engrenage infernal de la giga production qui mis un point d'honneur à franciser davantage l'histoire. Finalement, je suis convaincu que cette version trahit le caractère universel de l'œuvre originale. Les auteurs de l'adaptation s'en moquent-ils. Sans faire de procès d'intention, je n'ai jamais vu, de ma vie, une si petite mention dans le générique de fin pour l'auteur de l'œuvre originale. Messieurs, un peu de reconnaissance, Alexandre Dumas est celui qui vous a fait vivre depuis ces deux dernières années.