Je salue en premier lieu le courage de ce film. Qui chronique une affaire politico-industrielle glauque des années 2010, tout en gardant le vrai nom des protagonistes, s’exposant potentiellement à des poursuites. Chose assez rare dans le cinéma français !
« La Syndicaliste » revient sur Maureen Kearney, représentante de la CFDT au sommet d’Areva. Elle a vent d’un accord secret de transfert technologique entre EDF et les Chinois, qui mettrait à mal le savoir faire d’Areva. Elle tentera de remuer ciel et terre, jusqu’à ce qu’elle subisse en 2012 une agression sordide dans son domicile.
La première partie du film est très alléchante, proposant un thriller politico-industriel au sein de la filière nucléaire française. D’autant plus que le contexte est tendu en 2011/2012. EDF et Areva, ou plutôt Henri Proglio et Anne Lauvergeon, se sont tirés la bourre pour décrocher le titre de roi du nucléaire. C’est alors qu’Areva, groupe fièrement créé par regroupement en 2001, commence à récolter le semis de ses excès d’ambition et ses affaires louches (délais du chantier de l’EPR finlandais, scandale Uramin, peu de commandes de réacteurs à l’international à cause de Fukushima…).
Le hic, c’est que ce volet n’est finalement pas tant exploité. L’aspect thriller & magouilles se limitera à quelques réunions tendues et des menaces, sans que l’on comprenne vraiment ce qui se trame… sans doute parce que tout n’est pas encore clair dans la vraie vie. Et je suis resté un peu dubitatif sur le traitement des personnages réels.
Anne Lauvergeon a un portrait plutôt flatteur, celui de la bonne copine et patronne charismatique injustement éconduite de la tête d’Areva. On mentionne à peine que c’est en partie sa gestion trop ambitieuse (certains diront mégalo ?) qui aurait valu à Areva d’aller dans le mur. Luc Oursel est dépeint comme un « méchant », nouveau patron incompétent et colérique. Une image pas très nuancée, d’autant plus qu’étant décédé en 2014, il est facile de le critiquer à l’écran !
Le personnage de Henri Proglio apparait furtivement, avec l’image qu’il a souvent : celle d’un patron gangster impitoyable. D’ailleurs le film affiche EDF comme une entreprise voulant dévorer Areva et la trahir au profit des Chinois. C’est oublier qu’Areva a aussi élaboré des offres dans le dos d’EDF, et a voulu également s’imposer comme maître incontesté du nucléaire. Le démantèlement d’Areva en 2018 étant davantage du à ses propres problèmes qu’à un accord commercial entre EDF et les Chinois.
Mais à rigueur, tout ceci n’a pas tant d’importance, puisque cet aspect est plus ou moins évacué après l’agression de la protagoniste. On part alors sur un film judiciaire autour du viol, l’héroïne étant accusée de s’être infligée elle-même ses blessures (!).
Sur ce volet, c’est beaucoup plus maîtrisé. Isabelle Huppert est excellente dans une prestation de femme froide et battante, mais aussi fragile. Ce n’est pas sans rappeler son rôle dans « Elle », la perversité en moins. Le récit est tendu, poignant, et fait froid dans le dos quand on sait que l’histoire est vraie.
Bon par contre, il faut arrêter avec cette obsession pour les tours aéroréfrigérantes… Non, ce ne sont pas des ouvrages spécifiques à l’industrie nucléaire. Et non, elles ne sont pas conçues par Areva. Je doute que des dirigeants du groupe soient obsédés par leur photo, ou tiennent à passer devant lors de leurs visites de chantier…