La petite comédie douce amère de Baya Kasmi est la bonne petite surprise à laquelle je ne m’attendais pas. Son long-métrage, découpé en chapitres et agrémenté de quelques fantaisies de mise en scène commence par montrer le roman, pendant plus de 10 longues minutes. On suit un jeune adolescent complexé, attiré par les filles mais pétri d’une culpabilité culturelle qui l’inhibe complètement. Et surtout on observe sa famille,
le fils gay qui n’assume pas, la mère qui s’encanaille à la piscine, le père qui se travesti, le grand frère qui deale.
Tout ce premier quart d’heure est là pour une bonne raison, pour que l’on puisse comparer avec la vraie famille de l’écrivain, que l’on va fréquenter (avec un certain bonheur) pendant tout le reste du film. Et les dénégations de Youssef sont trop virulentes pour ne pas être suspectes : évidemment qu’il s’est inspiré de sa famille, parfois de près, parfois de loin, mais évidemment que son inspiration n’est pas venue de nulle part. C’est d’ailleurs une des thématiques du film : quand on écrit de la fiction, est-on réellement capable de ne rien y glisser de soi-même ? Va-t-on sciemment ou inconsciemment toujours raconter un peu de soi et des siens dans tout ce qu’on raconte ? Le film répond à cette question
par une pirouette, à la fin, avec le personnage de Karim
. Le film passe tout seul, il est parfaitement bien dialogué avec même parfois des petits morceaux d’anthologie comme cette parodie de débat littéraire façon pugilat (on se croirait sur CNews !), cette fausse émission de « Koh Lanta »,
ou cette scène où les propres parents du prix Goncourt ne sont pas autorisé à entrer dans la salle de restaurant où leur fils est célébré, ce qui rend fou Youssef mais ne dérange pas tellement ses parents, sans doute un peu habitués (ou résignés) à être regardés de haut.
Bien tenu, son film est globalement réussi même si point de vue réalisation on est dans du standard. Je reconnais que quelques scènes sont un peu en dessous, le ressort comique est un peu éculé, comme celle de la librairie, mais ce n’est pas grand-chose. Le scénario brasse beaucoup de thèmes au-delà de celui de la liberté de l’écrivain : les non dits, le poids de la religion et de la culture, le désir d’intégration, la difficulté s’assumer qui on est et d’où on vient. Ce ne sont pas des thèmes super originaux mais ils sont ici traités avec une certaine acuité, sans raccourcis et sans facilités. Le film est émaillé de vrais moments d’émotion, comme la confection du pain à quatre mains (où on sent que les deux frères si différents sont malgré tout sur la même longueur d’onde, celle de la tendresse jamais formulée), où celle de l’hôpital. Parfois le scénario s’autorise quelques audaces, explorer un peu plus loin qu’attendu les questions de racisme ou de communautarisme, sans fausse pudeur ni peur d’être mal interprété. Je ne cache pas que, passé la petite surprise, cela fait du bien de voir un film qui ose dire des choses un peu fortes sans le maquillage habituel. Pour servir ce scénario il fallait des comédiens et là, on est servi. Ramzy Bedia, d’abord, est très bien en écrivain tiraillé, effrayé par un succès qu’il ne maitrise plus et le met en porte à faux avec les siens. Il est entouré de seconds rôles très écrits et parfaitement incarnés, à commencer par Noémie Lvovsky en éditrice un peu exhalée par un succès plus commercial que purement littéraire, ou encore Melha Bedia, en petite sœur aux prises avec son identité de femme arabe et qui se débat avec comme si elle était sur un ring de boxe (on pourrait sans doute faire un film entier sur son personnage, ses contradictions et ses souffrances). Mais ce sont les parents Salem qui emportent le morceau : Tassadit Mandi et surtout Abbes Zahmani, en père obsédé par la langue française et amoureux des mots. Chaque scène où ils apparaissent est un petit délice, on est même déçu de ne pas les voir davantage à l’écran. Sans être un chef d’œuvre, le long métrage de Baya Kasmi, je le répète, est plutôt une bonne surprise. Bien incarné, bien dialogué, parfois incisif sur le petit monde le d’édition ou de la télévision, il mérite un petit tour au cinéma.