On jurerait que le pitch de ce film a été trouvé en même pas 2 minutes. Et on aurait peut être raison. Par contre, on n'aurait surement pas cru que son scénariste avait proposé l'idée à Hitchcock. Et là, on se serait trompé. Car cela faisait effectivement 40 ans que Larry Cohen tentait de la mettre en image. Mais c'est quoi au fait l'histoire? Celle de Stuart, attaché de presse odieux, qui se retrouve coincé dans une cabine téléphonique. Tenu en joue par un sniper, il n'a d'autre choix que de se plier à la volonté de son interlocuteur. Avouez que ça donne envie quand même. Il n'y avait qu'une seule bonne façon de faire pour ne pas perdre l'originalité du matériau de base. Michael Bay, qui a eu le script entre les mains, en voyait pourtant une autre. "C'est bien, mais au bout de combien de temps on peut le faire sortir de la cabine?" avait-il demandé à la fin de la lecture. Heureusement pour le scénariste -et nous- Bay n'est pas le réalisateur de Phone Game. C'est Joël Schumacher, remis en selle grâce à Tigerland, qui se charge de le mettre en image. On ne peut que le remercier d'avoir collé au concept, tant il était clair que c'était la seule solution pour emballer un thriller de haute volée. Et Schumacher déploie une vraie maestria pour créer un climat tendu et claustro: split-screens, plans de plus en plus rapprochés sur le héros. Autre bonne idée à mettre au crédit du cinéaste: avoir rameuté son acteur de Tigerland, Colin Farrell, pour jouer Stuart. Ce dernier est absolument parfait en anti-héros, sorte de salaud égoïste qui se retrouve malmené par un sociopathe que rien n'arrête. Passant lentement du menteur abject à l'humain vulnérable, Farrell dévoile une palette de jeu impressionnante. À l'autre bout du fil, l'acteur qui joue son bourreau (dont il vaut mieux taire le nom, pour préserver la surprise) est tout aussi impeccable, jouant habilement avec ses intonations de voix afin d'intimider sa victime. On peut par ailleurs saluer une V.F du même niveau que la V.O (chose suffisamment rare pour être soulignée). Si on peut regretter que Schumacher ne développe pas la réflexion annoncée dans l'intro (l'enfermement sur soi), on ne peut cependant lui reprocher de délivrer une vraie critique des États Unis. Injustement taxé de réactionnaire, par certaines mauvaises langues depuis Chute Libre, le mésestimé réalisateur s'impose pourtant comme un examinateur acide des excès américains. Qu'il s'agisse de son film avec un Michael Douglas remonté contre la société ou Phone Game, Schumacher dénonce les dérives d'une société qui se désagrège. Une atmosphère délétère dans laquelle les notions de bien et de mal sont floutées. Et à ce titre, le personnage du tireur embusqué synthétise parfaitement ce malaise (ses motivations sont louables, sa mise en forme effrayante). On pourrait également pointer le comportement des passants: du simple quidam au touriste, qui filme la séquestration de Stuart, en passant par ce proxénète sanguin et ses prostituées, aucun n'apparaît comme vraiment porteur d'espoir. C'est donc un constat acerbe que dresse Schumacher sur la société moderne. Surement son film le plus réussi avec Chute Libre.