Tromperie est adapté du roman du même nom de Philip Roth publié pour la première fois en 1990 (sorti en 1994 en France). Arnaud Desplechin l'a d’abord lu en français, puis en anglais. Le cinéaste l'avait offert à ses collaboratrices en préparation de Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) (1995) :
"Bien plus tard, je me suis servi de ce texte pour un bonus DVD de Rois et Reine, où je jouais la scène finale avec Emmanuelle Devos. Philip Roth a vu ce bonus et m’a appelé un soir. J’étais terrifié d’entendre le grand homme ! Je lui disais comment il me semblait impossible d’adapter Tromperie au cinéma."
"Roth souriait au téléphone, et me répétait : mais faites simplement comme ce bonus ! Il m’aura fallu des décennies pour deviner ce que Roth avait vu. Plusieurs fois, je m’y suis essayé sans être satisfait du résultat. J’ai songé à l’adapter pour Denis Podalydès au théâtre, et j’ai encore échoué !"
"Lors du confinement, quelque chose en moi s’est débloqué. J’étais enfermé comme le personnage de Philip dans son bureau. J’étais très heureux de travailler ainsi reclus. Et l’aspiration à la liberté des personnages a pris une tout autre résonance se rappelle le metteur en scène."
Tromperie marque plusieurs retrouvailles. Parmi elles, celle entre Arnaud Desplechin et Léa Seydoux après Roubaix, une lumière. Le cinéaste retrouve aussi Denis Podalydès après Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) et le téléfilm La Forêt, ainsi qu'Emmanuelle Devos après Rois et reine, Un conte de Noël, La Sentinelle, Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle), La Vie des morts et Esther Kahn.
Tromperie se déroule dans les années 1980, en Angleterre, mais a été tourné en français. Le film débute dans un théâtre, puis donne à voir des décors naturels rattachés à différents pays. "Ce texte est un éloge de l’exil. J’y ai retrouvé ma fascination pour les pays de l’Est. J’ai grandi dans une Europe coupée en deux, et je ne veux pas l’oublier. Nous vivons tous dans des mondes très différents, séparés. Mais nous pouvons parfois nous enfuir et passer d’un monde à l’autre !
"Le monde d’aujourd’hui est toujours coupé en deux, en mille – les hommes et les femmes, riches ou les pauvres, juifs et non-juifs, les dictatures et le monde libéral... Et le bureau de l’écrivain, c’est toute l’utopie de la psychanalyse : pouvoir se conquérir soi-même quel que soit le lieu où l’on habite. Philip, lui, s’est imposé cet exil. Il en fait l’éloge, tandis que les autres personnages, qui sont soit en exil de leur patrie, soit en exil d’eux-mêmes, le vivent avec douleur", raconte Arnaud Desplechin.
Tromperie a été présenté en séance spéciale sous le label Cannes Première au Festival de Cannes 2021. Arnaud Desplechin est un réalisateur on ne peut plus habitué à la croisette puisque la plupart de ses films y ont été sélectionnés.
Avec sa co-scénariste Julie Peyr, Arnaud Desplechin a réorganisé tout le récit d'origine. Il explique : "Un exemple tout simple, dans le roman, on ne sait pas bien quand l’écrivain et l’amante se séparent... Alors, nous avons travaillé à structurer le récit de telle sorte que ces aléas du cœur puissent se raconter, se transformer en intrigue. Le chapitrage du film, lui, est venu au montage."
"Cela vient de ma façon de travailler au scénario avec des plans très précis : quand j’ai rencontré Yorick Le Saux, le directeur de la photographie, je lui ai dit que nous allions raconter l’histoire d’une liaison sur une année, de l’automne à l’été. Et plus on se dirige vers la rupture, plus on va vers le soleil. C’est ce qui s’est inscrit tout naturellement dans les cartons qui structurent le récit."
Arnaud Desplechin a pour habitude d'entamer le montage avec une maquette des musiques qui l'ont accompagné durant l’écriture du film. Un procédé donnant une direction à son compositeur fétiche Grégoire Hetzel. Le cinéaste précise toutefois : "C'est est une inspiration mais aussi un carcan dont il doit se défaire. Là, c’est la première fois que je suis venu vers Grégoire avec un montage qui comptait uniquement des musiques dont il était déjà le compositeur. La référence, cette fois-ci, c’était lui ! La bande originale de Tromperie est donc une sorte de rencontre avec ce que nous avons inventé ensemble depuis Rois et Reine."
Léa Seydoux est à l'affiche de quatre films présentés au festival de cannes 2021 : France de Bruno Dumont, The French Dispatch de Wes Anderson, L'Histoire de ma femme d'Ildikó Enyedi et Tromperie d'Arnaud Desplechin.
Arnaud Desplechin voulait que le personnage de Philip soit fou, érotique et dangereux. Autant de caractéristiques qui faisaient peur à Denis Podalydès avant le tournage. Le réalisateur se souvient : "Je crois en sa démesure. Mais le premier jour de tournage, il était prêt. J’ai une immense admiration pour les livres de Denis. Denis est un écrivain, il n’est pas juif, mais ce qui définit Philip, ce sont ses livres. Il y avait là une proximité entre le rôle et la vie de Denis qui m’attirait."
"Parce qu’il est cet écrivain, ce lecteur, et cet acteur, Denis sait écouter merveilleusement. Quand Denis écoute, dans le même temps, il s’efface et il apparait ! C’est le miracle de l’acteur. J’ai seulement demandé à Denis d’être sec, comme Philip doit l’être. En regardant les photos de Roth, j’ai eu l’idée de lui ajouter des sourcils charbonneux, ce qui intensifie son regard. C’est le seul artifice qu’on se soit autorisé. Ainsi, chaque matin, Denis se déguisait discrètement... En génie américain."