"Vous ne désirez que moi" est une singularité cinématographique à l'image du "Barbara" de Mathieu Amalric ou "Ne croyez surtout pas que je hurle" de Frank Beauvais. Et en cela, c'est un film rare et important. Fondé sur une série d'entretiens enregistrés en 1982, cet opus est pourtant un vrai film de cinéma, dont la mise en scène est d'une grande subtilité. Tourné en longs plans séquences, il a sans doute réclamé à ses comédiens une extrême concentration, utile pour faire circuler le regard du spectateur dans l'espace de la parole proférée, passant d'un visage à l'autre, tout en soulignant la présence du micro comme pour mettre à nu le dispositif. Le lieu retenu pour ces entretiens est particulièrement bien choisi : vieille maison de province dominant un paysage vaste mais banal, sous un ciel gris. La coprésence des deux protagonistes devant ce paysage de ville et de campagne perçu en surplomb n'est pas sans évoquer la Vierge au Chancelier Rolin de Jan Van Eyck (étrange comparaison vu le thème traité... ;-) ). Les interludes et autres plans de coupe créent d'habiles respirations, très bien filmées et montées. Les thèmes évoqués sont très très forts : le coup de foudre, l'admiration, la part à trouver entre l'artiste, son œuvre et l'homme/femme bien réel(le) qui se cache derrière, les terribles logiques d'emprise, les pièges de la vie dans lesquels on tombe pour chercher son propre équilibre, l'homosexualité niée ou affirmée, etc. etc. En cela, le film est une remarquable réflexion sur l'amour, traité par les marges. Claire Simon fait très savamment sentir les mécanismes d'emprise. L'idée initiale que Duras puisse débarquer avec du café semble une hypothèse totalement incongrue pour celui qui découvre cette histoire et croit à un témoignage posthume.
Mais on comprend plus tard, par quelque effet de bruitage couplé à un nœud du témoignage, que oui, Duras est bien là, vivante, en bas, et n'hésitera pas à se manifester pendant les échanges.
Évidemment, ce qui transcende tout cela, c'est l'interprétation des personnages par les deux comédiens. Emmanuelle Devos est admirable en oreille attentive aux confessions du héros. Et Swann Arlaud est, disons-le, hors du commun en Yann Andrea. Je n'ai pas le souvenir d'avoir entendu un texte aussi bien dit, aussi bien incarné, en ces moindres inclinaisons, doutes, hésitations sur les mots, gestes d'une main, froncement de sourcils. Et bon dieu, quelle voix ! Vivement que tout cela soit disponible en VOD et bluray pour qu'on puisse réentendre, comme une musique, cet air triste et consolé des amours masochistes.