Si certaines œuvres sont d’une bêtise exaspérante, d’autres l’exploitent dans un tour de force, au mépris d’une culture sacrificielle, que la société absorbe, efface, puis feint d’en avoir quelque chose à foutre. C’est ce que le réalisateur roumain Radu Jude (Papa vient dimanche, Aferim!, Peu m'importe si l'Histoire nous considère comme des barbares) raconte de son pays natal, de son héritage, qui est arrivé depuis un moment dans une zone de turbulences, où la mauvaise foi, comme l’obscénité cohabitent au tribunal de citoyens idiots, incultes et vulgaires. Le constat passe par une ouverture des plus crues, une sextape non censurée. Rien ne sera donc laissé dans le hors-champ et c’est un message fort et clair d’un cinéaste, qui viendra à frapper là où ça fait mal et là où ça fait rire. L’humour par l’autodérision a connu maints exemples, que l’on estampille la plupart du temps de l’ordre de l’anecdote, mais pas dans ce contexte, où il faudra traverser un labyrinthe d’absurdité avant jouir de l’extase.
La filmographie de Jude a lentement orienté son cynisme vers une forme de paternité dysfonctionnelle, qu’il projette à présent sur la Roumanie et son héritage culturel et politique, sans oublier de laisser quelques brèches aux frontières. C’est en ouvrant avec une sextape amateure que l’œuvre nous invite à analyser, comparer et relativiser les maux d’une société qui ne sait plus s’écouter ou communiqué. À l’heure des réseaux sociaux et d’Internet comme un espace libre de perversion, le cinéaste ne cache pas son envie de traiter chaque degré d’absurdité dans un même montage, au détour d’une confrontation entre des visages masqués. Trois axes d’études aboutissent à une véritable glorification de l’expression, qu’elle soit visuelle ou intellectuelle. On ressent dans sa démarche une forme d’attachement à la créativité, quitte à la rendre plus explicite dans le dernier acte. Mais c’est avec le premier chapitre, que l’on déambule aux côtés d’Emi (Katia Pascariu), apparue dans la première vidéo, que l’on découvre Bucarest comme une capitale balisée par ses enseignes, confronter à ses contradictions culturelles et à une vulgarité, dont les éléments viendront alimenter un débat qui pose déjà ses arguments.
La caméra n’est donc pas toujours centrée sur sa traversée du désert, car avoir tourné en temps de crise sanitaire permettait de compléter le tableau néfaste d’une cité qui tombe en ruine ou dont les lieux de rassemblement communs se vident, comme pour évoquer le spectre de la vitalité, saine et extravagante. On ne jouit plus d’un plaisir particulier et la plupart des passants ne daignent pas davantage lever la tête pour prendre conscience de ce qui les entoure. La transition avec le montage encyclopédique du second chapitre peut alors surprendre et désarmer les idées reçues de spectateurs très conservateurs. Mais si l’on y survit, l’intérêt est sans doute sauf, car ce qui tient d’un méli-mélo d’images d’archives, de changements d’angle avec des lieux communs du quotidiens et autres absurdités militarisées, qui tiennent en joue un régime post-totalitarisme vaniteux, on accueillera avec une grande attention le dénouement de cette fantasque, et pourtant réelle, aventure de notre siècle.
« Bad luck banging or looney porn » emploie les caricatures avec le bon ton, inversant les rapports de force entre l’accusée et simplement des prédateurs grognards, prêts à sauter à la gorge de celle qui qui a consenti sa fellation, alors qu’elle leur renvoie chaque divagation directement dans le gosier. Les enfants sont un temps évoqués dans le débat, mais n’en demeurent pas moins absents, preuves de nonchalance de la part de parents aux divers profils, qui étouffent la voix d’une jeunesse avertie et en même temps pas assez. Afin de déterminer l’issue, si la crédibilité de l’enseignante ou de son aptitude à pouvoir garantir un apprentissage sain, tout cela se matérialise en un festival de faux raccords, de joutes verbales, entrecoupées de ricanement excessif, comme si le fait d’être en présentiel ou sur un groupe de conversation en ligne ne changerait rien. Le rictus se déploie à crescendo jusqu’à un lâcher prise bouclant cette mascarade comme un aveu d’échec, avec des individus qui ne sont pas conscients des véritables obscénités qu’ils dégagent, en opposition avec la sextape d’ouverture, finalement plus anecdotique.