Nèg Maron : les secrets du tournage

La parole au réalisateur: "Pour moi, l'élément central de l'histoire était la relation forte entre deux amis d'enfance. Ils sont à l'âge des doutes, perdus dans un système qui soit les utilise, soit les rejette. Ils se posent des questions et peinent à choisir leur voie. Dès le départ, je les ai définis comme différents, mais intimement liés. Chacun va prendre son chemin. C'est leur relation universelle qui m'a d'abord inspiré". Jean-Claude Flamand Barny ajoute :"J'ai travaillé sur mon idée avec Alain Agat. Il m'a aidé à préciser la mécanique de l'histoire, à canaliser mon énergie. C'est lui qui m'a poussé à me structurer. Mathieu Kassovitz et Richard Magnien ont également eu un rôle essentiel dans la maturation de l'histoire".

Le cinéaste a choisi de situer son histoire en Guadeloupe, se sentant là-bas plus en phase avec ses émotions et ses racines; "parce ces terres ont une histoire complexe, bâtie sur des luttes et le destin de milliers d'hommes et de femmes déracinés, maltraités. Là-bas, le sens du mot "bonheur", le sens de la famille, ont un poids encore plus grand".

L'esprit et la culture des Caraïbes sont présents partout dans le monde. En France, la communauté compte plus d'un million de personnes, qui, "tout en s'intégrant parfaitement, ont su garder leur identité, la partager avec ceux qui les entourent. Le créole est une langue vivante, au-delà même des limites de la communauté. La musique est également un élément important de cette culture". Mais ce qui caractérise sans doute le plus la Guadeloupe, c'est "l'intensité des sentiments qui s'y développent. Là-bas, tout est vécu à deux cent pour cent. Peut-être parce qu'on sait le prix de la liberté et du temps". Parmi les vecteurs de cette culture, il faut relever la musique, elle-même de plus en plus influencée par la culture afro-américaine.

Historiquement, le "Nèg Maron" a été le premier de ceux qui se révoltèrent contre l'esclavage. Les colons faisaient venir des esclaves noirs d'Afrique, et les faisaient transiter via des bateaux appelés "négriers" vers les Antilles, afin d'y travailler la canne à sucre. Certains se sont alors cachés dans les forêts, rejetant cette vie de servitude. "Ce film", précise le réalisateur Jean-Claude Flamand Barny, "est un hommage à ces hommes de courage qui ne se contentent pas d'accepter les choses telles qu'elles sont. Se battre pour être libre, pour être soi, est une notion qui est toujours d'actualité même si les obstacles ne sont plus tout à fait les mêmes."

Pendant longtemps, l'expression "Nèg maron" a eu une forte conotation péjorative. On qualifiait ainsi les rebelles qui ne rentraient pas dans le moule imposé. Ce n'est seulement que depuis quelques années "que le terme est revenu, plus symbolique, trouvant un nouvel écho dans une société qui ne se préoccupe pas souvent des individus". Pour le réalisateur, l'expression "Nèg Maron" évoque surtout "l'envie de liberté, l'esprit de résistance, la volonté de choisir sa voie avec une détermination très positive. C'est une notion qui est redevenue d'actualité. Ni chaînes aux pieds, ni chaînes dans la tête".

Admiral T, véritable star du Reggae-Dancehall, et interprète du personnage de Josua, explique la perception de son rôle: "Lorsque Jean-Claude Flamand Barny m'a parlé du personnage, je m'en suis tout de suite senti proche. J'ai connu les même doutes que lui. Chacun à notre façon, nous les avons tous. Josua essaie de bien faire, mais il est dans un engrenage. Il s'en sort à coup de combines, de petits coups. Au fond, il est raisonnable, mais ne trouve pas la perche à saisir pour s'en sortir. (...) Les valeurs auxquelles Josua croient sont celles que je défends dans mes chansons. Elles parlent à beaucoup de jeunes. Aujourd'hui, nous ne sommes pas seulement en révolte, nous sommes décidés à construire quelque chose qui nous corresponde plus, qui soit simplement plus juste et moins hypocrite. Il appartient à chacun de s'y mettre".

C'est Mathieu Kassovitz qui a tenu à produire ce film. Il explique les raisons de son choix: "Avec Jean-Claude, on se connait depuis notre adolescence. Il a toujours été là pour moi, sur pratiquement tous mes projets. Il était clair qu'un jour ou l'autre, il aurait des choses à dire. Etre amis depuis longtemps n'était cependant pas une raison suffisante pour le produire. Lorsqu'il m'a parlé de son idée de film, je lui ai dit d'avancer. il a fait ses expériences, a suivi sa propre route. Quand ses idées ont été arrêtées, mon rôle de producteur a consisté à lui donner les moyens et le temps d'écrire." Il ajoute: "J'ai été à ses côtés. Le montage financier du film a été long et chaotique. Mon ambition était d'aider Jean-Claude à se faire entendre de gens que le sujet du film n'intéressait pas parce que la plupart des investisseurs se bornent à des a priori. Ca n'a pas été simple."

Le film a été entièrement tourné en décors naturels, et en huit semaines, après deux mois de préparation intensive.