Habitué au thème de la survie (Survivre, Everest, A la dérive), Baltasar Kormákur en remet une couche et s’envole vers l’Afrique du Sud, pour se confronter non pas à la solitude ou à un monstre de glace, mais bien un animal sauvage, dont on reconnaît les penchants territoriaux. Les adeptes d’adrénaline et de tension bestiale seront servis, car le film possède du mordant là où on aurait pu l’attendre comme une mauvaise série B (L’ombre et la proie), voire Z (Prey). On en ressort avec un sentiment d’efficacité comme on en voit peu dans le paysage du survival. Soit on se cantonne à une introspection silencieuse, soit on explose tout dans des artifices grossiers et qui ne valent plus grand-chose sur les propos initiaux. Ici, un juste milieu se dévoile, en toute simplicité.
Une trame évidemment prévisible nous saute à la gorge, mais le cinéaste islandais se sert justement de la chronologie, connue du public et resserrée sur à peine une journée, pour y développer la rage d’un lion meurtri par le braconnage. Malheureusement, on ne fera pas rien de plus pertinent qu’un récit de vengeance pour ce dernier, qui a décidé de traquer et de tuer tous les bipèdes de notre genre sur sa route. Le plan-séquence d'ouverture sera ainsi annonciateur de tout ce qui arrivera, où les muscles seront mis de côté pour une approche plus sensible, liant chacun des protagonistes à la mort. D’un côté, nous avons un lion, face à son échec et qui se nourrit de sa rage, plus que de la viande de ses victimes. De l'autre, nous avons un père de famille (Idris Elba), également meurtri par la disparition d'une femme qu'il n'a pas su protéger de la mort elle-même. Le combat de Nate engage ainsi sa responsabilité de mâle alpha, dans une famille dans le besoin et qui ne demande qu'à prospérer plus longtemps que d'autres.
Si l’on connaît ainsi tous les filons, il ne reste que le suspense à entretenir et cela passe essentiellement par de longues séquences, qui collent aux survivants d’une attaque. La pression monte ainsi au rythme d’une résolution de deuil, dont les rêves se révèlent dispensables. Le charisme du comédien britannique et la relation que son personnage noue avec ses filles adolescentes (Iyana Halley et Leah Jeffries) montrent déjà les signes d’une reconstruction. En revanche, ce qui ne se soigne pas aussi vite, ce sont bien les blessures de la chair, là où le spectacle nous amène de scène en scène et nous invite à croquer dans la captation d’une créature trop énervée pour s’échanger des câlins avec Martin (Sharlto Copley), ami de la faune et de la nature, ou quiconque d’ailleurs. Cette lutte intime, qui doit convaincre Nate d’assumer son rôle de protecteur, voile pourtant la position du prédateur et de ses victimes. Certes, se retrouver au cœur d’une folie vengeresse n’arrange rien, mais difficile de croire en un mal que l’on ne peut pardonner.
« Beast » est une réussite par bien des égards, dans son esthétique bluffant et qui donne droit à un climax nerveux et habité. Ses défauts ne sont pas à plaindre, malgré quelques scènes qui peuvent friser le ridicule. Les conflits se résolvent ainsi dans des péripéties d’allers-retours, entre les griffes et les crocs d’un gros chat un tantinet rancunier, mais cela ne sera pas pour déplaire au spectacle vivant qui place une famille au bord du gouffre, à coopérer. Leurs démons sont devant et derrière eux, mais mieux vaut se concentrer sur celui qui peut vous transformer en escalope. Un petit plaisir qui nous tend ainsi la patte, pour mieux pour empaler avec l’autre.