Les Animaux anonymes trouve son origine dans une image qui a marqué Baptiste Rouveure lorsqu'il était enfant : celle d'un cheval s'attaquant à l'homme sous des pulsions carnivores. Le réalisateur explique : "Cette image inconsciente cauchemardesque est venue en nourrir d'autres bien réelles, issues d'une enfance rurale. De par une proximité avec un environnement naturel, j'ai été l'observateur privilégié d'une nature sauvage, mais aussi le témoin d'une emprise funeste de l'homme sur l'animal à travers l'exploitation et la chasse. Ces tableaux parfois sanglants, macabres, cruels, sont venus alimenter au fil du temps une empathie prégnante envers l'animal et une interrogation constante quant à sa place dans notre société."
"Ce cheval carnivore qui me hantait, répondait d'un dysfonctionnement, d'une nature malade et agonisante. Cette digression de la chaîne alimentaire s'est alors muée lors de l'écriture du film, en transposition des corps entre l'homme et l'animal. Les animaux anthropomorphes qui en résultent, agissent suivant nos codes de dominants, d'exploitants, de chasseurs, portant en eux une déshumanisation envers l'espèce... Humaine. Cette traversée du miroir place ainsi les protagonistes humains sous le joug d'une domination animale, pour lesquels ils sont des silhouettes sans noms, des animaux anonymes, noyés sous des volumes d'exploitations où chacun est interchangeable à l'autre."
En adoptant un point de vue qui répond à des instincts primitifs, Baptiste Rouveure a cherché à dépeindre un état d'anxiété et d'appréhension face à une action humaine pouvant receler en elle autant d'énigmes que de comportements menaçants. Il confie : "Face à l'inconnu d'où planent de sombres desseins, la question du suspense découle naturellement. Il est alors apparu évident d'épouser pleinement les codes du genre et ainsi proposer une expérience sensorielle qui joue sur la tension, l'appréhension et la peur. Des émotions et réflexes primitifs qui répondent du spectacle cinématographique mais qui donnent surtout à ressentir les émois fébriles de ces animaux anonymes."
Les Animaux anonymes est le premier long métrage de Baptiste Rouveure et se rattache à son cycle de films sans paroles composé de And The Winner Is, Les Ephémères Fugitifs et Altera, qui s'articulaient déjà sur le langage du corps : le geste prenant le pas sur les mots, le mouvement sur le dialogue. Le cinéaste précise :
"Pour Les Animaux anonymes, les premières esquisses de dialogues sont rapidement apparues comme superflus et futiles. Placés dans un environnement qu'ils ne maîtrisent pas, les sens des protagonistes sont en constantes alertes et le moindre mouvement exprime une intention. L'épure des dialogues a donc réhabilité le silence, le silence a laissé place à quelque chose d'organique et d'universel. Cette approche sensitive a rejoint l'idée de la barrière de communication entre l'homme et l'animal : En inversant les places de chacun, je souhaitais garder cette incapacité à décrypter le langage des ces animaux anonymes pour ne préserver qu'un échange purement physique."
L'environnement des Animaux anonymes repose sur une nature en décrépitude, un monde à bout de souffle où les terres semblent stériles. Le patrimoine agricole de l'Allier et de la Nièvre, associé à une lumière naturelle automnale ont permis de donner vie à l'univers d'un film qui évoque un monde rural en déperdition. Baptiste Rouveure raconte :
"Entre la première partie de tournage et la seconde, une année s'écoulera avant de retrouver les luminosités diffuses d'automne qui confèrent au film son atmosphère funèbre. Si le temps de tournage des animaux anonymes se ramasse sur 6 journées, la post-production sonore s'est étalée sur plus de trente jours pour donner vie aux animaux anthropomorphes. Dans une approche réaliste, chaque souffle, chaque pas, chaque geste de ces protagonistes animaliers ont été bruités afin de leur donner une présence et de l'épaisseur."