Marie est née avec le court métrage La Contre-allée de Cécile Ducrocq, sorti en 2014 et dans lequel Laure Calamy jouait déjà ce personnage. La réalisatrice explique : "J’avais encore des choses à dire, envie aussi de l’emmener ailleurs, de le sortir du périmètre où je l’avais enfermé. Je voulais lui don- ner du souffle, faire de cette femme une héroïne. Et, puis, j’avais envie de travailler de nouveau avec Laure. Avec cette image en tête : Laure dans un imperméable doré qui traverse la ville, prend sa voiture, cherche des clients, cherche de l’argent, cherche son fils."
Pour le personnage de Marie, Cécile Ducrocq s'est inspirée d’une prostituée rencontrée avec Laure Calamy pour son court métrage, Marie-France. Elle travaille rue Saint-Denis à Paris, avec une photo de son fils accrochée au-dessus de son lit. "Cette image m’a choquée. « Ben oui, j’ai un fils », m’a-t-elle dit. Je me suis sentie bête. Et immédiatement je me suis demandée : comment élever un enfant quand on fait ce métier ? Marie-France m’a expliqué le plus naturellement du monde qu’à peu de choses près, elle faisait comme tout le monde", précise la réalisatrice.
Malgré des moments terribles, où l’on peut lire le découragement de l’héroïne, le film s’accroche constamment à un quotidien presque terre à terre (dialogues courts, scènes vidées de leur contexte sulfureux, etc.). Cécile Ducrocq explique :
"J’ai besoin de concret, de réalisme, de la simplicité de la réalité. Ce sont des points d’ancrage très importants pour moi. Mais l’ultra réalisme peut vite m’ennuyer aussi, j’ai aussi envie d’envolées. C’est pour cela que je mets cet imperméable doré à Laure qu’elle ne quitte jamais, quelles que soient les circonstances, ou que, tout à coup, elle va racketter son client à la fin. Elle a perdu son discernement, c’est l’énergie du désespoir. Je voulais montrer jusqu’où elle était prête à aller."
Pour Une femme du monde, Cécile Ducrocq a revisionné des films avec des personnages de prostituées forts, comme Les Nuits de Cabiria de Fellini, Mamma Roma de Pasolini ou encore certains longs métrages de Fassbinder.
Nissim Renard joue Adrien, le fils. Cécile Ducrocq a effectué le casting à la fin du premier confinement alors que les écoles et les lycées étaient encore fermés. Elsa Pharaon, la directrice de casting, a dû recourir à un envoi massif d'annonces. "Sur les cinq cent réponses que nous avons reçues, Nissim s’est imposé. Il avait la grâce, un jeu naturel, une cinégénie dingue et il jouait merveilleusement l’émotion et la colère. Il a commencé à tourner dans des courts-métrages à quatre ans en Belgique, il en a dix-sept aujourd’hui", se rappelle la cinéaste.
Le personnage de Marie n’est pas une victime et défend son métier. La réalisatrice développe : "Bien sûr, il faut distinguer les travailleuses du sexe, consentantes, et les filles prisonnières des réseaux qui sont asservies à des proxénètes. Je ne dis pas que c’est un métier facile, comme les autres. Mais le discours ambiant veut que, même si elles affirment être consentantes, elles ne le sont pas. Or, je ne vois pas pourquoi on leur retirerait leur libre arbitre. Si elles affirment être consentantes et qu’elles n’ont pas un revolver sur la tempe, qui sommes-nous pour les contredire ?"
Cécile Ducrocq ne voulait pas trop s'étendre sur les scènes de passe. La réalisatrice a toutefois cherché à montrer comment les choses se déroulent lorsqu’une prostituée reçoit un client : "Et je trouvais important que cette scène introduise le film : on entre tout de suite dans le quotidien de Marie. C’est une scène crue que je ne veux surtout pas cacher. Comme beaucoup de prostituées, Marie a un vrai pouvoir sur les hommes. Je lui avais dit : « Fais comme si tu étais un médecin. Tu dis au monsieur de se déshabiller, tu lui demandes ce qu’il veut mais c’est toi qui mène la danse en fait. » En revanche, il n’était pas question que les scènes de sexe deviennent répétitives et que l’on s’y enterre ; ce n’était pas le sujet."
Cécile Ducrocq et le directeur de la photographie Noé Bach voulaient concevoir une belle lumière mais sans tomber dans le glamour : "Comment, par exemple, créer une rupture entre les scènes dans le bordel, très éclairées, très roses, et celles, très crues, où l’on voit les prostituées siroter leur Red Bull en peignoir dans la salle de repos à la lumière de néons particulièrement agressifs ?"
"Comment passer de cette ambiance à celle, encore plus lugubre, du parking où Marie vient se réfugier dans sa voiture ? Comment également donner une dimension polar au film ? Marie est quand même une femme qui cherche de l’argent. Et puis s’ajoutait un impératif de ma part : je ne voulais pas d’installations lourdes. J’ai horreur de ça. Ma porte d’entrée, c’est d’abord le travail avec les comédiens."