L'intérêt du cinéma japonais, c'est qu'il fait rarement dans la demi-mesure : quand c'est kitsch, c'est kitsch – voir le personnage et le jeu de Kitano, sorte de De Funès en version imprévisible. Donc, dans "Battle Royale", on repassera pour la finesse : ce n'est pas sur ce terrain que joue le film. Bonjour donc, musique originale pompière (le compositeur, c'est le même que celui de la série "JAG" ?), jeu d'acteurs sans saveur – en dehors donc de Kitano, parfait en meneur de jeu décalé –, et surtout bonjour, flots de sang qui manquent de transformer le film en nanar sans l'assumer jusqu'au bout : en jouant sur les deux tableaux – d'une part, film « classique » bien réalisé ; d'autre part, « nanar » réussi, porté sur l'humour potache, voire grand-guignolesque et sur l'ironie –, "Battle Royale" manque les deux objectifs. (Il est vrai que ce genre de conciliation est une prouesse, et rares sont ceux qui peuvent s'en acquitter : un Tarantino en forme, par exemple. Pas si étonnant que "BR" lui ait plu.)
En fait "Battle Royale" a des gros défauts de la plupart des « films-concepts », même lorsqu'ils sont – ou se veulent – ironiques. D'une part la lourdeur du message tend à nuire à la la qualité esthétique du film. D'autre part, on y trouve une machinerie qui aurait pu être efficace si elle avait été présentée de façon moins appuyée, ou même, pourquoi pas, si elle n'avait pas été présentée du tout. Une fois cette machinerie lancée, le film tourne en roue libre, et quelques dizaines de morts de plus ou de moins n'auraient rien changé. Il y avait pourtant, avec l'idée de compte à rebours introduite dès le début, un procédé scénaristique à saisir. De fait Battle Royale souffre d'un cruel manque de rythme : la monotonie naît de ces scènes qui ont – en dehors de celle du bus et de celle de l'école, au début du film – presque toutes la même durée. Monotonie entretenue par le retour, à intervalles réguliers, de ces « rapports » égrenés par Kitano. Pourquoi faire revenir sans cesse ces scènes de rapports ? Elles apportent des informations dispensables : le numéro et le nombre des morts, l'interdiction de nouvelles zones – qui par ailleurs ne sera jamais exploitée dans le film. En multipliant les allers et retours entre « QG » et forêt, elles empêchent le spectateur de s'immerger une bonne fois dans la conscience des survivants et de partager pleinement ce qui fait généralement l'intérêt des « films de survie » : leurs doutes. (De ce point de vue, j'ai eu du mal à saisir l'intérêt de ces flash-backs justificatifs et presque édifiants.)
Les « rapports du sergent Kitano » sont assez proches des « points de sauvegarde » qu'on trouve dans les jeux vidéo, à l'esthétique et à la structure desquels "BR" emprunte assurément. (On peut en dire autant de la présentation des pages de menu et de bonus du DVD.) J'ai parfois eu l'impression de voir un croisement entre un film au grain très seventies – et "Battle Royale" prend de ce fait un charme un peu désuet qui n'est pas de trop – et un jeu vidéo dont les textures auraient été particulièrement bien faites. J'y ai en effet retrouvé la monotonie et l'invraisemblance scénaristiques de beaucoup de jeu vidéo – mais imaginons ici un jeu vidéo dans lequel les boss et les niveaux ne seraient pas de difficulté et d'intensité croissantes. Le gros problème, surtout, de "Battle Royale", c'est qu'on y trouve trop peu de variété dans les angles de prise de vue, dans la réalisation, dans les ambiances, bref dans ce qui fait une bonne partie du cinéma : à aucun moment je n'ai été surpris, à aucun moment je n'ai pensé « quel plan ! » ou « quelle trouvaille ! ». En dehors de quelques points évoqués ci-dessus, j'ai juste beaucoup aimé le début du film – la scène du retour de la gagnante, celle de l'autobus, celle de l'école avec une mention spéciale pour la vidéo de présentation du jeu – et le huis clos du phare.