Un soir, Amos Gitaï est allé dans le fameux club au centre de Laila in Haifa avec une des actrices palestiniennes de son film précédent, Un Tramway à Jérusalem (2018). Cette dernière voulait lui montrer la vie nocturne de la ville israélienne d'Haïfa. Le cinéaste se rappelle :
"Nous avons vu tous les clubs les plus chauds de Haïfa. J’ai trouvé dans ce club Fattoush un mélange de Juifs et d’Arabes, d’Israéliens, de Palestiniens, d’hétéros et de gays. C’est une sorte de refuge où se retrouvent des gens d’origines différentes. C’est assez inhabituel dans un pays où d’habitude, à lire les journaux, nous n’entendons parler que d’hostilité, de conflit, de guerre et de tuerie. Cette nuit dans ce club m’a donné le sentiment d’échanges humains entre des gens qui sont simplement en relation les uns avec les autres de manière non violente – même s’ils ne sont pas toujours d’accord. J’ai adoré cette soirée et je me suis dit : « je vais écrire une histoire sur ce microcosme."
Wadia, le propriétaire palestinien du Club Fattoush, a créé cet endroit comme un acte de résistance contre la précédente ministre de la culture, Miri Regev, qui a fermé le seul théâtre arabe de Haïfa. Il a décidé d’en faire un lieu de rencontres et un refuge pour tous les habitants de Haïfa, quelle que soit leur origine.
Amos Gitaï explique pourquoi il a choisi cinq figures de femmes pour les rôles principaux de Laila in Haifa : "Le Moyen-Orient est dominé par des hommes qui, bien souvent, encouragent la guerre et les conflits. Dès mes tout premiers films, il y a 35 ans, j’ai choisi de privilégier les rôles féminins, depuis Esther (1985) ou Berlin Jérusalem (1989), mais aussi Kadosh (1999), Free Zone (2004), Terre promise (2005)... Le fait de mettre un rôle féminin au centre de ces films est en soi une question posée sur l’organisation de nos sociétés."
Laila in Haifa parle de femmes et d’hommes à la recherche de leur autonomie, au-delà des définitions de classe, de genre, de religion ou d’identité nationale. Amos Gitaï a pour habitude d'inviter ses acteurs à participer au processus de recherche de la signification du film. Le réalisateur explique :
"Souvent, je leur demande de s’appuyer sur leurs propres biographies, sur leurs réflexions. Lorsque j’ai commencé à discuter de leurs rôles avec Behira Ablassi, Khawla Ibraheem et Maria Zreik, trois jeunes actrices palestiniennes, j’ai compris qu’elles voulaient aussi parler de ce qu’elles ressentent en tant que femmes dans leur propre société. C’est le premier long métrage de Behira, tandis que Maria et Khawla sont au début de leur carrière. Elles jouent aux côtés d’actrices et d’acteurs plus expérimentés et ce mélange d’authenticité et d’expérience a nourri le film. C’était aussi la première fois que je travaillais avec Naama Preis, qui est une actrice et une danseuse israélienne."
Laila in Haifa a été tourné en trois langues : l’hébreu, l’arabe et l’anglais. "Parfois, l’anglais est utilisé comme un terrain neutre, extérieur, où les gens peuvent communiquer sans endosser telle ou telle appartenance culturelle. J’avais constamment ce genre de considérations en tête quand j’ai fait le film", précise Amos Gitaï.
"Laila In Haifa (Une nuit à Haïfa) est une comédie dramatique qui a été entièrement tournée dans une boîte de nuit israélienne et palestinienne de ma ville natale, Haïfa. Le film raconte une série de rencontres qui se déroulent au cours d’une nuit dans ce club, qui est aussi l’un des derniers endroits où Israéliens et Palestiniens entretiennent encore des relations directes, face à face."
"Tout au long de la nuit, nous suivons les histoires croisées de 14 personnages qui ne veulent pas être définis par des étiquettes ou des catégories toutes faites. Ils tentent de vivre leur vie, d’être en accord avec eux-mêmes, tout simplement. Le film rassemble sur le même plateau des histoires et des paroles de Palestiniens et d’Israéliens, dans la continuité de mes films précédents."
"C’est une façon de faire du film lui-même et du processus de création un lieu de rencontres, un moment de dialogue, dans une région qui souffre par ailleurs d’une violence et d’une haine chroniques. Est-ce que le cinéma ou l’art peut créer un espace de coexistence pacifique dans lequel les gens peuvent exprimer leurs différentes identités ?"
"Les acteurs et les actrices de Laila In Haifa sont israéliens et palestiniens, et j’aime la sincérité et la générosité avec lesquelles ils ont fait ce film avec moi. Mon travail de cinéaste est aussi inspiré par un esprit citoyen. Je me souviens de ma conversation avec Bassam Shakaa, le maire palestinien de Naplouse, qui fut victime d’un attentat terroriste de l’extrême droite israélienne."
"Dans mon film Journal de campagne, en 1982, je lui avais demandé : « Êtes-vous optimiste ou pessimiste ? » Sa réponse résonne encore dans mon travail : « Nous ne pouvons pas nous permettre d’être pessimistes. C’est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre ». A travers des œuvres d’art, des textes, des films, il faut essayer d’alimenter l’espoir."