Après Gueule d'ange, les producteurs Carole Lambert et Marc Missonnier et la réalisatrice Vanessa Filho souhaitaient continuer à travailler ensemble. C'est Marc qui a appelé cette dernière en lui disant qu’il fallait qu’ils se voient pour parler du livre de Vanessa Springora : "Ils l’avaient lu et ont eu l’instinct immédiat qu’il résonnerait en moi. Ils en étaient persuadés et ne se sont pas trompés, et je leur en serai toujours infiniment reconnaissante... Parce que le soir même je le lisais et l’évidence m’a frappée. Ce film est alors devenu notre priorité. Et depuis trois ans, ils le portent avec courage et détermination."
"Ma première lecture a été un choc émotionnel et intime, une véritable rencontre. Lorsque j’ai achevé la lecture de ce livre, j’ai ressenti un très fort sentiment d’impuissance et de colère, et tout ce que je ne pouvais supporter dans cette histoire a fait naître des émotions puissantes. Ce sont ces émotions qui m’ont poussée à agir. Et agir, pour moi, c’était faire un film. Le film m’est apparu, au fil de la lecture, fait de sensations, d’émotions et de regards... révélant l’intime dans le langage des corps. Il s’est incarné immédiatement. Aux images générées par le récit de l’autrice sont venus s’associer des cauchemars."
"Ils se sont imposés à mon imagination, et ne m’ont pas quittée. Si des images me hantent ainsi, elles créent en moi une nécessité d’être mises en scène."
Le Consentement est adapté du livre du même nom de Vanessa Springora, publié pour la première fois en janvier 2020. Ce récit autobiographique, qui raconte l'emprise et les abus sexuels dont elle a été victime par le romancier Gabriel Matzneff depuis leur rencontre à ses 13 ans, fait grand bruit lors de sa sortie. Le Consentement devient l'un des livres les plus vendus et fait l'objet de nombreuses traductions.
Surtout, ce témoignage glaçant révèle les pratiques pédophiles d'un écrivain très respecté dans la profession, qu'il réalise non seulement en toute impunité (à une époque où la littérature est placée au-dessus de la morale), mais aussi en les revendiquant : par exemple dans son livre Les Moins de seize ans, publié en 1974, ou encore dans l'émission Apostrophes en 1990, présentée par Bernard Pivot.
Début 2020, Gabriel Matzneff est visé par une enquête pour viols sur mineur de moins de quinze ans. En septembre 2021, l’ancienne journaliste Francesca Gee raconte avoir elle aussi eu une relation avec lui quand elle avait 15 ans, dans les années 1970. En août 2022, il est entendu en audition libre par des policiers de l'Office central de répression des violences aux personnes (OCRVP), situé à Nanterre.
Mais l'affaire Matzneff ne bénéficie d'aucune suite judiciaire, notamment parce que les faits dénoncés sont prescrits. Après les accusations de Vanessa Springora, Gabriel Matzneff, aujourd'hui âgé de 87 ans, s’est retiré en Italie. A ce même moment, ses éditeurs renoncent à commercialiser ses oeuvres.
Vanessa Filho ne connaissait pas Vanessa Springora personnellement avant d'avoir commencé à travailler sur le film. La cinéaste lui a d’abord écrit une très longue lettre, dans laquelle elle lui expliquait les raisons pour lesquelles elle voulait adapter son histoire au cinéma :
"Quand nous avons échangé la première fois, Vanessa m’a dit qu’elle avait apprécié la manière dont j’avais traité mes personnages dans mon premier long métrage, Gueule d'ange. Elle m’a donné son accord. J’étais profondément émue... J’ai eu un vrai coup de cœur pour cette femme, extrêmement généreuse et sensible, d’une intelligence et d’une élégance rares. J’admire sincèrement la force de résilience qui a été la sienne, son souci de vérité, sa détermination."
Le travail d'écriture du scénario s'est déroulé de manière extrêmement libre. Mais être fidèle au récit de Vanessa Springora était un vrai choix de la part de Vanessa Filho. La cinéaste se rappelle : "J’avais été tellement choquée par le viol public que Vanessa avait subi, et par le fait qu’elle était devenue malgré elle un objet non consentant de littérature, qu’il était pour moi hors de question de la transformer une nouvelle fois en personnage de fiction. C’est donc son histoire que j’ai déroulée à l’écran, et pas une autre."
"L’adaptation ne porte pas sur un roman mais sur un « récit » dont l’autrice se bat justement pour ne pas être un personnage fictif. J’ai, bien sûr, comme dans toute adaptation d’un livre au cinéma, fictionné des choses, développé, ajouté des éléments personnels, de mes obsessions intimes, de mes propres blessures aussi... Mais j’ai veillé à ne jamais m’écarter de la vérité des personnages. Vanessa a lu plusieurs versions du script. Nous avons eu des échanges intenses, qui ont nourri et fait grandir le scénario."
Pour le rôle de Vanessa, Vanessa Filho voulait trouver un visage nouveau au cinéma et tenait à ce que cette actrice ait plus de 16 ans : "Il était évidemment hors de question de mettre en danger une adolescente de l’âge de Vanessa dans le récit adapté, de créer de la confusion aussi, de reproduire le traumatisme sur une jeune actrice. Kim Higelin avait 20 ans au moment du casting, ce qui m’a permis d’avoir avec elle un vrai dialogue sur le sujet."
"Aux essais, j’ai tout de suite su qu’elle était le rôle. Elle était unique, d’une profondeur absolue, extrêmement sensible et brillante, et puis... Cette voix... Une voix de cinéma. Elle a lu le livre et le scénario, et a instantanément compris toutes les étapes psychologiques et complexes par lesquelles passait son personnage. Elle m’a impressionnée du début à la fin du projet..."
En matière de mise en scène, l'intention de Vanessa Filho était d’être à la hauteur de la vulnérabilité de Vanessa. La cinéaste a cherché à faire ressentir et comprendre sa confusion entre amour et sexualité inhérente à son âge et son inexpérience. Elle précise : "J’ai préparé chacune de ces scènes bien en amont. J’ai réuni les comédiens et Guillaume Schiffman, le chef-opérateur du film, pour leur expliquer plan par plan ce qu’on verrait et où se situerait la caméra, et je leur ai demandé leur accord."
"Je n’ai pas dérogé d’un millimètre de ce qui avait été convenu, et je me suis attachée au jeu des émotions sur les visages, suggérant le mouvement des corps, privilégiant les plans serrés. J’ai toujours dit à Kim que si, à un moment, elle ne voulait pas tourner telle ou telle séquence, je trouverais une alternative. Mais l’histoire est violente et la sexualité participe à cette violence. La séquence du dédoublement traduit la distance douloureuse, la cassure, à laquelle Vanessa ne peut plus échapper."
Dans la peau de Gabriel Matzneff, nous retrouvons Jean-Paul Rouve. Ce dernier confie avoir été bouleversé par le récit de Vanessa Springora, qu'il avait trouvé "fin, intelligent, jamais manichéen, et éclairant sur la mécanique d’emprise" selon ses propres termes. Le comédien ajoute :
"Je ne connaissais pas Matzneff avant de lire ce texte, et lorsqu’on m’a appelé pour l’interpréter, j’ai été immédiatement intéressé. C’est un peu comme lorsqu’on vous propose de jouer Richard III ! J’ai donc dévoré le scénario de Vanessa Filho, que j’ai trouvé très fidèle à l’esprit du livre. Cela m’a rendu curieux : j’avais envie d’essayer de comprendre qui était cet homme."
Jean-Paul Rouve explique : "Dans la voix de Matzneff, il y a du velours. Il parle assez doucement, comme un hypnotiseur. Sa voix est plus aiguë que la mienne, mais, une fois encore, il ne s’agissait pas de l’imiter. J’ai joué avec l’idée qu’il était conscient qu’il était brillant à l’oral et que sa voix était son arme. J’ai fait beaucoup de lectures avec Vanessa Filho ; nous avons cherché ensemble son phrasé, comme si nous faisions du chant parlé."
Vanessa Filho et le directeur de la photographie Guillaume Schiffman se retrouvent après Gueule d'ange. La réalisatrice se remémore à son sujet : "Guillaume a eu l’intuition de choisir de vieilles optiques, qui rappellent parfois les accidents de la pellicule. Nous avions envie de grain à l’image, de texture, pour restituer un climat en lien avec l’époque à laquelle se déroule ce récit. Guillaume a un rapport sensuel à l’image, et ce que j’admire aussi dans la lumière qu’il crée, c’est qu’elle est toujours vraie."
"Je travaille également beaucoup et très en amont sur la recherche de teintes, sur les matières. C’est assez obsessionnel chez moi comme étape parce que c’est sensoriel. Avec Carine Sarfati, la cheffe costumière, Edwige Le Carquet, la cheffe décoratrice, et Guillaume, nous avons travaillé ensemble à la composition de l’image dans tous ses détails. Et puis, de façon générale, j’aime préparer énormément... pour mieux perdre le contrôle au moment du tournage et n’être que dans l’émotion avec les comédiens."
Pour jouer Gabriel Matzneff, Jean-Paul Rouve a perdu dix kilos et a fait beaucoup de natation : "Il me fallait comprendre sa routine. La natation est un sport qui permet de penser. Je me demandais ainsi ce qui occupait son esprit lorsqu’il faisait ses longueurs. J’observais où m’embarquait le mien lorsque je nageais. J’ai pris soin de moi, ce que je ne fais pas d’ordinaire à ce point : comme lui, je me suis fait faire des manucures, j’ai fait des UV pour avoir son teint, j’ai mis de la crème pour le visage matin et soir pendant toute la préparation, ce qui m’amenait à me regarder dans le miroir, ce qu’il faisait sans doute aussi."
"Tout cela m’a mis en condition pendant mes trois mois de préparation. J’ai aussi beaucoup travaillé sur le scénario afin de laisser le personnage venir à moi. Mais la difficulté avec Matzneff, c’est qu’à la différence d’autres personnages, avec lui je ne trouvais aucun point d’appui, aucune zone commune avec moi. Je ne dis pas ça d’un point de vue moral ; je parle de sa manière d’être physiquement, de s’exprimer, de penser ; dans son rapport à la vie, à la création, je ne voyais aucune branche à laquelle me raccrocher. Ce rôle impliquait donc de ma part une construction totale, un travail inédit pour moi jusqu’alors."
"Matzneff est assez précieux. Il se tient très droit, ce qu’accentuent ses vestes militaires ou de safari. Je me suis dit qu’il avait conscience d’avoir de belles mains et qu’il en jouait pour séduire son auditoire. Je me suis donc mis de la crème pour les mains, j’ai travaillé une gestuelle à la manière d’un magicien."