Après La Belle et la Meute et L’Homme qui a vendu sa peau, Kaouther Ben Hania a choisi de retourner au documentaire. Les Filles d'OIlfa a débuté en 2016 alors que la réalisatrice terminait Zaineb n’aime pas la neige, un documentaire qui a occupé six ans de sa vie. Elle se rappelle :
"À la radio, j’ai entendu Olfa parler de l’histoire tragique de ses filles. J’ai été interpellée, bouleversée par son récit. Là aussi, il s’agissait de l’histoire d’une mère et de ses quatre filles adolescentes. Olfa m’a immédiatement fascinée. J’ai vu en elle un formidable personnage de cinéma."
"Elle incarnait une mère avec toutes ses contradictions, ses ambiguïtés, ses zones troubles. Son histoire complexe, terrible me hantait et j’avais envie de l’explorer, de comprendre sans savoir comment faire. J’ai donc appelé le journaliste et il m’a donné son numéro de téléphone."
Au moment où Kaouther Ben Hania a contacté Olfa, cette dernière était déjà passée de nombreuses fois à la radio et à la télévision. Mais à cette époque, ce type de fait divers était monnaie courante. "Ce qui m’a intéressée avec Olfa est qu’il s’agit d’une histoire de femmes, de mère, de filles", précise la cinéaste.
Dans un premier temps, Kaouther Ben Hania s'est dit qu'elle allait filmer Olfa avec les deux filles qui lui restent pour exprimer l’absence des deux autres. La réalisatrice se souvient : "J’ai commencé à les filmer en 2016 puis encore en 2017. Mais quelque chose ne marchait pas. Comment raviver les souvenirs sans les embellir, les transformer, sans se donner le beau rôle, sans édulcorer la vérité ?"
"Comment réussir à convoquer ce qui a eu lieu et qui n’est plus là ? Comment affronter la vérité de son propre passé des années après ? Mais le plus problématique selon moi, c’est la façon dont Olfa jouait un rôle. À partir du moment où j’avais allumé ma caméra, elle s’est mise à jouer un rôle en particulier. J’ai dû arrêter le tournage car j’ai fini par comprendre que j’allais tomber dans le piège qu’elle me tendait."
Ce film est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2023.
Hend Sabri, qui campe Olfa est une star. Kaouther Ben Hania explique : "Olfa a songé qu’enfin, on allait la croire ! Olfa pense que personne ne l’a jamais crue car elle n’a aucune notoriété. Cette grande actrice allait lui apporter cette crédibilité dont elle avait besoin pour que son histoire puisse enfin être entendue. Il faut dire que lorsqu’elle a commencé à donner des interviews en 2016, Olfa a souvent été calomniée, lynchée et insultée. Grâce à Hend Sabri, elle allait enfin être entendue avec respect. Quand je l’ai compris, ça m’a donné envie d’expérimenter beaucoup de choses sur le tournage."
Kaouther Ben Hania a choisi de tourner dans un seul décor. L’univers des Filles d'Olfa est introspectif, la cinéaste n'avait donc pas besoin d’avoir des décors retravaillés. Elle confie : "J’avais juste besoin d’une unité visuelle, stylistique. On a donc trouvé ce vieil hôtel bas de gamme de Tunis qu’on a transformé en studio de cinéma. Je savais que les spectateurs seraient capables de lier les éléments entre eux sans que nous soyons obligés de tout reconstituer."
"J’avais en tête le décor sur plateau tracé à la craie de Dogville de Lars von Trier, un film qui m’a beaucoup fasciné. J’avais juste besoin d’un grand décor qui me permettrait de poser simplement un contexte comme celui du poste de police. Comme je savais que nous allions explorer ensemble des sujets intimes, sensibles et douloureux, je ne voulais pas avoir à supporter les mêmes contraintes que celles d’un tournage classique. J’ai voulu tout réduire à l’essentiel."
Kaouther Ben Hania a choisi un seul comédien pour jouer les rares hommes de cette histoire : "On en revient encore à Dogville et à ma croyance dans la capacité des spectateurs à pouvoir relier les points entre eux, à comprendre qu’un seul comédien jouerait tous les hommes de cette histoire. Ce qui m’a frappé dans la vie d’Olfa et ses filles, c’est l’absence des hommes. Dès qu’un homme rentre dans leur existence, elles le virent."
"Les hommes autour d’elles ne peuvent pas leur survivre. Il y a chez elles un rapport très complexe à la masculinité. Olfa incarne quelque chose d’à la fois très féminin et très masculin. Elle dit de son mari qu’elle est plus masculine que lui. D’une certaine façon, comme tous les hommes ont été éjectés de leur groupe, c’est comme si tous les hommes n’en étaient qu’un seul, d’où mon envie de les faire jouer par un seul comédien", note-t-elle.