Madres Paralelas surprend de prime abord par sa mise en scène : loin de la rigueur de ses précédentes œuvres, le cinéaste espagnol semble ici puiser à la source de la telenovela avec ses gros plans sur le visage des acteurs, des mouvements de caméra simples inscrits dans un cadre quotidien (la cuisine, la chambre à coucher, le salon) porteur de conflits internes aux personnages et extériorisés. Les actrices, sous le prétexte d’incarner le temps qui passe – et, en cela, nous sommes reconnaissants à Pedro Almodóvar de penser ses ellipses en termes esthétiques, sans recourir aux indications textuelles qui encombrent tant de productions récentes –, accomplissent un défilé de mode, la variation des coupes de cheveux et des tenues colorées rappelant les films mettant en vedette Audrey Hepburn. De plus, les décors en studio se révèlent sans fards, reconnaissables par une lumière et un son particuliers. La Voz humana, court métrage qui se tient dans un appartement reconstitué en studio, est passée par là. Tout porte à croire que le cinéaste ne cherche plus l’illusion de réel, qu’au contraire il exhibe les artifices nécessaires à sa représentation pour faire naître une émotion qui, elle, est authentique. La cuisine de Janis, parfaitement organisée et rangée, paraît empruntée à un magasin de meubles ; même l’hôpital n’échappe pas à cette esthétisation galopante.
Pourtant, dans ce cadre normé où rien ne dépasse surviennent des drames qui dérangent : la consultation des analyses médicales est répétée frénétiquement et rompt l’harmonie trouvée entre les deux amies (et amantes), l’exhumation d’une fosse commune revient tel un traumatisme collectif qu’il faut guérir, les tumultes amoureux qui définissent la relation de Janis et d’Arturo, la complexité des liens qui unissent une fille avec sa mère absente etc. Comme toujours dans le cinéma d’Almodóvar, la femme remplit une double fonction : elle est la personne sur laquelle s’abattent les tempêtes ; elle est celle qui, contre vents et marées, maintient l’équilibre familial voire sociétal. L’entrelacs du projet archéologique et de la maternité exacerbe la similitude de la cause défendue, à savoir la nécessité de vivre avec ceux qui ne sont plus, d’entretenir une mémoire individuelle et familiale en donnant voix et reconnaissance aux disparus. Nul hasard si Janis est photographe : elle qui immortalise des chaussures ou des modèles est amenée à explorer puis à sauvegarder la vérité de la naissance.
Une œuvre intelligente et subtile, à défaut d’émouvoir véritablement, qu’interprètent deux remarquables comédiennes : Penélope Cruz et Milena Smit.