George A. Romero a laissé derrière lui une œuvre foisonnante et aura réinventé le mythe du zombie, qui parcourt presque l’intégralité de sa filmographie. Son seul et unique film de commande, The Amusement Park, réapparaît en 2017, moyen-métrage que l’on considérait comme perdu depuis une quarantaine d'années. Véritable pépite qui aurait pu disparaître à tout jamais de la circulation, ce film donne à voir une facette différente de ce que pouvait être le génie de Romero. The Amusement Park traite de l’âgisme, à savoir la discrimination envers les personnes âgés, mais également leur maltraitance. Dans une époque où les conditions de vie dans les maisons de retraites et les EHPAD sont remises en cause, le film sonne l’alarme sur un sujet encore peu traité. Commandé par une association religieuse pour lever le voile sur ces pratiques, Romero utilise le matériel d’origine pour en faire un véritable film d’épouvante, toujours avec très peu de moyens. L’association refusera finalement le film, jugé trop violent.
Le parc d'attractions matérialise les joies familiales et enfantines dans un monde où le divertissement est le seul échappatoire à nos angoisses. C’est justement en inversant ce prisme que Romero construit brique par brique un univers tout droit sorti des enfers. Lincoln Maazel incarne ce vieil homme vétu d’un costume blanc, un être innocent et naïf, mais surtout terriblement seul. Il commence son aventure dans une salle blanche. Aussi blanche qu’une feuille, car c’est un homme dont on a occulté le passé pour mieux écrire l’histoire au temps présent, l’espace d’un jour dans ce parc, comme un retour vers l’enfance.
Une fois sortie de la salle, c’est la cohue. Des centaines de personnes se pressent dehors, bousculant le pauvre homme qui vient à peine d’émerger. Il cherche ses repères un certain temps, avant de partir explorer le parc. Cet homme d’une sympathie sans égale auprès du spectateur se fait malmener dès les premiers instants dans le parc. L’amusement promis tourne très vite à l’horreur.Il est dans un premier temps incompris, dos au mur face à une population jeune qui ne prend pas la peine de l’écouter. Même lorsqu’il s’assoit au restaurant, il est invisible auprès des serveurs. Le vieil homme, plein de ressentiment envers les jeunes gens, essaie alors d’obtenir de la compassion auprès des enfants. En manque de compagnie, il espère trouver du réconfort en leur présence. Mais les enfants, méfiants, le repoussent, à tort, car le vieil homme est pur et dénué de mauvaises intentions.
La séquence la plus violente du film laisse présager la mort, qui se matérialise sous la forme de la Faucheuse. Romero, faisant preuve d’un cynisme de chaque instant, envoie son protagoniste dans une clinique. Le vieil homme, blessé de toute part, n’est soigné qu’à l’aide d’un petit pansement.
Conspué, tabassé, esseulé, l’homme se retire du parc, emportant le peu de dignité qu’il lui reste. On a rarement vu un homme aussi dépourvu, dont l’honneur est terni, abattu par le sort qu’on lui a réservé. Se dégage un profond pessimisme, comme l’impression d’avoir assisté à une exécution publique. L’homme est physiquement sain et sauf, mais tout le reste de son âme est détruite.
Le message de prévention de l’acteur face caméra nous sort de ce cauchemar qui a pris place devant nos yeux. Sa conclusion de fin “je vous verrais dans le parc, un jour…” (en VO : "I'll see you in the park... someday.") scelle définitivement l’avenir du spectateur avec fatalisme : nous finirons nous aussi par vieillir et connaître la solitude.