Amat Escalante a pour habitude, lorsqu'il commence à plancher sur le scénario d'un film, d’accumuler des idées et de les agencer pour en tirer une histoire qu'il peut ensuite mettre en images. Pour le cinéaste, un film est donc souvent le reflet d’un instant T dans sa vie. Il précise : "Lost In The Night doit beaucoup à la pandémie, au changement soudain du monde : j’ai pu, à cette période, voir plus de films, réfléchir davantage et lire ces livres que je n’avais pas pris le temps de lire jusque-là. Dostoïevski, par exemple, et « Les Misérables » de Victor Hugo, un roman que je n’avais jamais ouvert parce qu’il est finalement très présent dans la culture mondiale."
"Et quand je l’ai lu, j’ai compris pourquoi il était important au sein même de l’Histoire du cinéma. J’ai aussi beaucoup marché, dans les montagnes, en écoutant des audiobooks. Je prenais des notes. J’avais très envie de comprendre la complexité des gens, leurs paradoxes, le bien et le mal qu’on a tous au fond de nous – ce qu’on retrouve dans les personnages du film d’ailleurs."
Lost In The Night a été présenté à Cannes Première au Festival de Cannes 2023. Le réalisateur Amat Escalante est familier de la Croisette puisque son drame Heli y a remporté le Prix de la mise en scène en 2013.
Lost In The Night est différent des précédents films de Amat Escalante, notamment au niveau des personnages. Le réalisateur explique : "Au-delà du fait de collaborer avec des acteurs professionnels, ce qui au fond n’est pas franchement important, je n’avais jamais raconté d’histoire avec ce profil social – et d’ailleurs je n’avais jamais fréquenté de gens comme ça dans la vie jusqu’à Narcos, où j’ai eu l’occasion de rencontrer quelques stars."
"C’était curieux et intéressant de me familiariser avec cet univers, avec la célébrité, l’illusion de célébrité dans ce monde virtuel. Si le sexe et le désir étaient les bêtes de La Région sauvage, la 'créature' de Lost In The Night, c’est ça : ce nouveau milieu, ce phénomène qui pendant la pandémie a explosé puisque tout le monde était collé aux réseaux sociaux, à savoir la popularité, l’illusion du pouvoir et la manière dont ça obsède certaines personnes."
"C’est un sujet familier puisque chacun de nous a un téléphone à la main, et en même temps, c’est très éloigné des considérations du quotidien ; c’est une recherche de popularité et d’approbation et en même temps, une réelle source de frustration. C’est aussi contradictoire que la créature de La Région sauvage, source de plaisir et de mort."
Amat Escalante a longuement cherché la maison. Ce n’était pas tant son architecture qui le préoccupait que sa situation : il fallait qu’elle soit près d’un lac, car le réalisateur avait en tête tous ces films de "maison près d’un lac" : "L’eau et ses profondeurs, ça me fait peur : que la maison soit près d’un plan d’eau rajoutait du mystère à l’histoire. On a cherché dans tout le pays, visité tous les lacs, mais au Mexique, c’était difficile à trouver dans notre budget…"
"À l’exception de Los Bastardos qu’on a filmé à Los Angeles, tous mes longs métrages ont été tournés là où j’habite. On a donc pris le parti de construire une maison près d’un lac, pas loin de chez moi. C’est donc une fausse maison, un vrai décor de cinéma, un plateau. L’architecte, Daniela Gallo, la production designer, Daniela Schneider, le chef opérateur Adrian Durazo, ont tous les trois conçu la villa en fonction du film que nous voulions faire. C’était un luxe."
"Mon père, qui est peintre, a créé la fresque murale que vous voyez dans le film. Le jardin a été conçu par un de mes amis, Noaz Deshe, qui est aussi réalisateur. Le processus a été très collaboratif. Les costumes ont été créés par Ursula Schneider, la cousine de Daniela, qui avait en tête qu’Emiliano se sentait et se comportait comme un soldat en mission. Ainsi, les vêtements qu’il porte sont comme du camouflage : il se vêtit en fonction des couleurs des décors."
Les castings ont démarré à Mexico, avant que Amat Escalante soit contraint de chercher de manière plus locale. Juan Daniel García Treviño travaillait dans les bureaux de la production : il était caméraman et cadrait les auditions. À la pause déjeuner, le metteur en scène a à nouveau discuté avec les gens de l’agence pour bien leur faire comprendre les profils qu'il recherchait. En décrivant le personnage d’Emiliano, il leur ai dit qu’il était un peu "comme lui", en montrant Juan Daniel García Treviño :
"J’ai fait comme s’il s’agissait d’une blague alors que ce n’était pas le cas. Au fil des auditions, je lui ai demandé de donner la réplique aux candidats : en quelque sorte, je lui ai fait passer des dizaines de tests sans même qu’il le sache ! Puis on a dû arrêter le casting à cause du Covid, ça m’a donné beaucoup de temps pour réfléchir. Quand on a tous repris le travail, je n’ai pas pu lancer tout de suite Lost In The Night ; je suis donc allé tourner Narcos. J’ai appelé Juan Daniel qui, entre-temps, avait tourné Je ne suis plus là."
"Dans un sens, c’était un acteur amateur qui, aujourd’hui, est devenu professionnel et connu – j’en suis très heureux. Il est très charismatique et il se donne très généreusement à ses personnages. Surtout que dans Lost In The Night, le travail physique était difficile : il devait courir, être nu dans l’eau gelée, etc. Il a frôlé l’hypothermie. J’admire son énergie."