Ali Abbasi est né en Iran et a vécu l’époque de la folie meurtrière de Saeed Hanaei et son arrestation en 2001. Le metteur en scène se rappelle :
"J’avais encore des attaches en Iran, mais en 2001 j’étais en train de m’installer en Europe pour y faire mes études. Et puis, il y a eu les attentats du 11 septembre et, auparavant, la folie meurtrière et l’arrestation de Saeed."
"Je n’étais pas tellement intéressé par l’affaire des meurtres qui s’étaient produits un an plus tôt car le phénomène des tueurs en série n’est pas rare en Iran."
"J’ai commencé à m’intéresser à l’affaire lorsqu’on s’est mis à considérer Saeed comme un héros – et qu’on a raconté qu’il accomplissait son devoir religieux en assassinant des prostituées dans les rues de Mashhad."
Ali Abbasi avait vu le documentaire de Maziar Bahari, And Along Came A Spider, qui est sorti en 2002 après la pendaison de Hanaei (il est disponible sur YouTube). A ce moment, le réalisateur s'est surpris à ressentir une certaine empathie pour le tueur... Il précise :
"Je m’attendais à une sorte de Buffalo Bill, le tueur du Silence des agneaux. Mais Saeed était charismatique et donnait le sentiment d’être naïf ou innocent. Comme il n’avait pas du tout l’habitude des médias, il a fait des déclarations devant la caméra qui allaient à l’encontre de ses intérêts."
"Pour autant, il avait l’air heureux et semblait s’être pardonné ses crimes. Ce n’était pas un type manipulateur et il dégageait une certaine honnêteté. Non pas que je l’appréciais ou que j’approuvais ses actes, mais cela rendait son histoire et son personnage plus complexes que je l’imaginais."
D'une certaine manière, le personnage de la journaliste Rahimi existait dans la réalité (il y a en effet une femme reporter dans le documentaire de Maziar Bahari qui évoque l’affaire devant la caméra et interviewe Saeed). Ali Abbasi confie à ce sujet :
"Bien qu’elle soit originaire de Mashhad, elle n’a pas enquêté sur les meurtres. Elle a publié un excellent article sur l’exécution de l’assassin qui m’a inspiré. Elle a notamment écrit que ses dernières paroles ont été 6 « ça ne devait pas se passer comme ça », suggérant qu’il avait passé un accord avec le gouvernement."
Ali Abbasi travaille sur cette affaire depuis près de quinze ans. Dans les premières versions du scénario, le metteur en scène était resté très fidèle aux faits. Puis, il a commencé à se demander pourquoi il écrivait ce film. Finalement, il n'a pas cherché à reconstituer l'affaire, mais plutôt tenir un propos plus large, comme il l'explique :
"Au fil du temps, je me suis autorisé à m’éloigner des faits parce que j’avais le sentiment que cette affaire ne concernait pas uniquement Saeed – elle parlait de misogynie. Le personnage de Rahimi est devenu aussi important que celui de Saeed. D’un point de vue dramaturgique, il semblait logique que leurs trajectoires se croisent."
Ali Abbasi a choisi de désigner Saeed comme le coupable au début du film, renversant ainsi les codes du thriller classique où l'on découvre progressivement l’identité du tueur en série : "Mais le plus fascinant à mes yeux dans le parcours de Saeed, c’est qu’il ait été célébré en héros."
"Ce film n’aborde pas la dimension énigmatique d’un tueur en série, mais la banalité de l’existence de Saeed, garçon fruste et sans relief. Pour moi, c’est plus intéressant qu’un personnage mythique à la Buffalo Bill", raconte le réalisateur.
La ville de Mashhad, la deuxième plus peuplée d'Iran, est un personnage à part entière du film. Il s'agit d'un des lieux les plus saints pour les musulmans chiites. C’est aussi une métropole riche, située près de la frontière afghane, et très cosmopolite, comme elle est visitée par des pèlerins du monde entier. Ali Abbasi précise toutefois :
"Mais elle se trouve aussi sur la route de la drogue, entre l’Afghanistan et l’Europe. Ces deux faits ne sont pas directement liés. C’est donc une métropole industrielle, avec une part d’ombre, mais qui s’avère aussi être un célèbre site religieux."
"La prostitution y est endémique : il est inutile de se rendre dans un quartier en particulier, les prostituées s’affichent partout, aux yeux de tous, y compris près de la mosquée. Je pense que la prostitution est tolérée parce qu’il s’agit d’un secteur économique, qui fait partie de l’activité « touristique » de la ville. Du coup, la police ferme les yeux sur ce phénomène."
Le film a été présenté en Compétition au Festival de Cannes 2022, où l'actrice Zar Amir Ebrahimi a reçu le prix d'interprétation féminine. Ali Abbasi explique à son sujet :
"Zar Amir Ebrahimi a été à mes côtés depuis le début sur ce projet, et s’il y a bien quelqu’un qui pourrait être coauteur du film en dehors de moi et des producteurs, c’est elle."
"C’était une immense star de télévision au début des années 2000 en Iran, 8 mais une vidéo d’elle, explicite, a fuité, ce qui était inédit dans une société extrêmement rigide et conservatrice."
"Les gens ont commencé à vendre sa vidéo dans la rue, et cela a mis fin à sa carrière artistique. Elle n’a plus trouvé de travail et elle a fini par quitter le pays."
"Elle a d’abord été directrice de casting de mon film, mais comme on a dû trouver une nouvelle comédienne pour Rahimi au dernier moment, on s’est dit que ce serait formidable de confier le rôle à Zar."
"Avec elle, le personnage a évolué : Zar a insufflé à Rahimi la frustration qu’elle a pu ressentir dans sa vie publique et privée lorsque la vidéo a fuité."
Le serial killer Saeed est interprété par Mehdi Bajestani, un acteur de théâtre et de cinéma. Ali Abbasi tenait à engager un comédien dont le parcours était – en partie – semblable à celui de son personnage :
"Mehdi vient de la région de Mashhad et sait adopter le même accent populaire que Saeed. En outre, c’est un formidable acteur, prêt à tenter des choses qui sont taboues en Iran."
"Le public occidental ne peut pas se rendre compte des risques qu’il prend avec ce rôle, mais c’est comme si une star hollywoodienne jouait un pédophile qui viole des enfants."
"Par ailleurs, il tente d’humaniser un individu détestable, et là encore, c’est un risque", précise le metteur en scène.
Ali Abbasi a d'abord envisagé de tourner le film en Iran puis en Turquie, mais a finalement renoncé en raison de la censure gangrenant les régilmes propres à ces deux pays. Il a finalement, il a tourné à Amman, en Jordanie. Il se remémore :
"Je tenais particulièrement à ce qu’on reconstitue la face la plus sombre de Mashhad de manière crédible, et la Jordanie réunissait tous nos critères. On a déniché un endroit relativement quelconque et qui peut camper n’importe quelle région du Moyen-Orient, en fonction du point de vue qu’on adopte."
"On avait un budget restreint, et pour des raisons politiques et de sécurité, on ne pouvait pas acheminer beaucoup d’accessoires d’Iran, si bien qu’on a dû reconstituer certains éléments de décors, du mieux qu’on pouvait, à Amman."
"On a enlevé des panneaux et des drapeaux de certains endroits, et ajouté des affiches et une signalétique qui évoquaient l’Iran. Cela a très bien fonctionné car on trouve en Jordanie plusieurs régions industrielles banales qui correspondaient exactement à ce qu’on cherchait."