Le film fait partie de la Sélection Officielle de Cannes 2020.
Seize Printemps est le premier long-métrage de Suzanne Lindon, dont elle tient également le premier rôle et dont elle a signé le scénario. Si la jeune femme rêve de jouer la comédie depuis l'enfance, elle n'osait pas en parler, ayant des parents acteurs (Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain). Afin de se sentir légitime de passer devant la caméra, elle a décidé d'écrire un film. Au fur et à mesure, elle s'est appropriée cette histoire au point de vouloir également la mettre en scène. Elle précise : « Jouer était la chose dont j’étais la plus sûre car c’était la raison d’être de ce film. Et Seize Printemps me conforte dans l’idée d’être actrice. Je cherchais ma légitimité comme comédienne et si j’ai adoré mettre en scène, j’ai aussi découvert que le moment où je m’abandonnais et m’amusais le plus était celui où je jouais ».
Suzanne Lindon n'avait que quinze ans quand elle a entrepris l'écriture de Seize Printemps, soit un an de moins que son héroïne. « Le film est avant tout né de l’envie de raconter un âge », affirme-t-elle. Elle désirait témoigner du moment particulier qu'elle vivait alors, où tout se déroulait bien dans sa vie mais où, toutefois, elle ressentait une forme de mélancolie qu'elle ne pouvait expliquer. « Je me suis demandée si cela n’avait tout simplement pas à voir avec la période que je traversais et qui était l’adolescence. Un moment de la vie que je trouve compliqué car on découvre des choses, des sensations et des sentiments avant de se découvrir vraiment soi-même et de savoir réellement qui on est. Et ce que l’on veut ». Ce film était aussi l'occasion de parler du sentiment amoureux, qu'elle n'avait alors pas expérimenté et qui l'intriguait : « j’ai écrit l’histoire que j’aurais voulu vivre. Et comme je ne me sentais pas très bien avec les gens de mon âge, que je m’ennuyais avec eux, assez naturellement l’histoire que j’ai eu envie de vivre était avec un homme plus âgé ».
Il s'est écoulé cinq ans entre le début d'écriture de Seize Printemps et son tournage. Cependant, le scénario n'a que très peu évolué durant ce laps de temps. « En fait c’est un scénario un peu bizarre car il est très court. Cinquante pages tout au plus. Il est d’ailleurs longtemps resté sous la forme d’un traitement et c’est ce traitement que les acteurs ont lu. Il était rédigé comme une sorte de nouvelle très décrite » précise Suzanne Lindon. Le seul ajout effectué au scénario de l'époque a été la danse : « Je savais que, même si cette histoire entre une adolescente et un homme de 35 ans resterait au stade platonique, il faudrait qu’il y ait de la sensualité. Qu’il se passe quelque chose de physique entre eux deux ».
Seize Printemps repose sur des silences et des ellipses, plutôt que sur des dialogues. Une approche assumée par Suzanne Lindon, pour qui les histoires d'amour sont « des histoires de moments et de pudeur. Des choses qui ne s’expliquent pas et que je n’ai surtout pas voulu expliquer avec des mots. Mais plutôt avec des gestes, des silences qui marquent la timidité et le respect qu’ils ont l’un envers l’autre ». Elle regrette d'ailleurs l'excès de paroles au sein de sa génération : « tout le monde parle. Tout le temps. Presque trop. Tout le monde dit ce qu’il pense, ce qu’il a à dire. C’est un peu fatiguant. Deux personnes qui se rencontrent mais qui se rencontrent vraiment, c’est-à-dire qui se trouvent, n’ont à mon sens pas besoin de se parler ».
Suzanne Lindon a veillé à ce qu'il n'y ait aucun marqueur d'époque dans son film, refusant même d'y mettre des téléphones portables : « J’ai envie de parler de sensations universelles, partagées par toutes et tous. Et que chacun puisse avoir l’impression de les vivre ».
Suzanne Lindon précise : « je voulais montrer un rapport entre une jeune fille et un homme plus âgé qui soit l’opposé de ce qui se passe aujourd’hui. Je suis la première à épouser la cause des femmes qui me concerne pleinement ». Il lui tenait à cœur de filmer un rapport amoureux respectueux, courtois et pudique, où son héroïne mène la danse et ne se laisse pas impressionner ou influencer : « Elle est presque plus adulte que lui en se servant de cette histoire pour vivre pleinement son âge ».
Suzanne Lindon tenait à montrer « une jeune fille qui n’a pas de problème. Cela semble un peu bizarre mais j’assume (rires) ». Cette absence de problèmes extérieurs renforce à ses yeux la mélancolie et la solitude de son héroïne.
Suzanne Lindon revendique la fin ouverte de son film car elle apprécie qu'une œuvre n'apporte pas de réponse claire au spectateur : « Je trouve plus intéressant de vivre avec un film. Que lorsque je le vois, il m’occupe, qu’il me questionne… et le fait de choisir une fin ouverte, de couper à des moments un peu étranges, des moments où on ne s’y attend pas c’est un moyen de frustrer dans le bon sens ». Le processus du montage a d'ailleurs permis à la jeune cinéaste d'expérimenter et de s'amuser : « j’aimais me surprendre en coupant à un moment où je ne pensais pas le faire. Ou insérer de la musique dans une scène là où je ne pensais en avoir besoin. Je me suis amusée à écrire, à tourner et à monter le film car je n’avais aucune pression ».
Avec son scénario d'une cinquantaine de pages, Suzanne Lindon craignait que son film n'excède pas une heure. Au final, Seize Printemps dure 1h14, ce dont elle se réjouit car elle souhaitait aller droit au but et raconter une histoire sans fioriture : « J’aime les films qui racontent un moment précis d’une vie. Je n’avais pas envie de m’attarder à raconter des choses qui n’étaient pas essentielles ».
Particulièrement attentive à l'espace dans le cadre, Suzanne Lindon souhaitait filmer le vide autour de son héroïne. Le format Scope lui a permis de souligner cette idée : « Comme le film parle de la place qu’une jeune fille occupe dans sa vie, il faut que visuellement cette question soit également posée. Et le fait qu’elle ait plein de place à sa disposition et que finalement elle en prenne si peu la raconte encore un peu plus ».
Suzanne Lindon a choisi pour la musique de son film des chansons qui l'ont accompagnée durant l'écriture, dont des morceaux de Christophe, choisis avec le chanteur : « Evidemment le fait qu’il ne soit plus là aujourd’hui rend sa participation au film encore plus émouvante. Il est comme un ange gardien. Il plane sur le film ».
La réalisatrice a immédiatement pensé à Vincent Delerm pour la bande-originale de Seize Printemps : « Je retrouvais dans ses compositions le ton que je souhaitais pour le film. Un mélange de mélancolie et d’espièglerie ». Après lui avoir téléphoné, Suzanne Lindon a reçu le thème principal du film alors que le musicien n'avait même pas lu le scénario : « J’ai la sensation que sa musique est un personnage à part entière du film. Comme la petite voix intérieure de Suzanne. D’où l’idée d’un thème unique décliné en plusieurs variations et qui refléterait son ennui ».
« Nous avons produit le film sans passer par les guichets de financement classiques. Juste en le faisant lire à des gens qui ont décidé de nous aider », témoigne la réalisatrice. Selon elle, ces faibles moyens ont permis de donner au tournage une énergie particulière et de filmer sans se poser trop de questions, en suivant son instinct.