Si elle ne joue pas assidûment au foot, notamment parce qu’enfant, c’était un sport réservé aux garçons, Stéphanie Gillard s’y intéresse depuis toujours : « j’ai grandi avec Platini et Tigana, pleuré pour Séville 82 quand je n’avais pas encore 10 ans, puis j’ai vibré avec France 98... » C’est d’ailleurs cette année qu’elle entre en école de cinéma et découvre Les Yeux dans les Bleus qui a été un modèle pour elle, alors qu’elle se destinait à la voie du documentaire : « Ce film était à la fois simple et complexe. Seul, avec une petite caméra DV et un bon micro, en immersion, Stéphane Meunier a su se faire oublier et réussir à mettre en avant, tant les personnalités, que les enjeux d’une équipe pendant une compétition. Dans ce bouillonnement sportif, il réussissait à sentir l’instant, le comprendre pour le filmer et le transmettre de manière audiovisuelle ». En 2006, la réalisatrice signe son premier documentaire, Une histoire de ballon, sur le football au Cameroun.
C'est la victoire de l’équipe de France masculine à la dernière Coupe du Monde en Russie qui a déclenché chez Stéphanie Gillard l'envie de réaliser Les Joueuses #Paslàpourdanser. Alors qu'elle attendait beaucoup du documentaire Les Bleus 2018 : au cœur de l’épopée Russe, elle n'y a pas retrouvé l'effet « envers du décor » qu'elle avait apprécié dans Les Yeux dans les Bleus. « Je me suis alors dit que ce n’était en fait peut-être plus possible de mener cet exercice avec le football masculin, et qu’il fallait explorer la piste du football féminin pour retrouver peut-être une parole plus libérée, une certaine « liberté de ton » ». C'est grâce à la productrice du film, Julie Gayet, que Gillard a rencontré le président de l’Olympique Lyonnais, Jean-Michel Aulas.
Outre le palmarès de l’équipe lyonnaise féminine de foot, la réalisatrice était séduite par la diversité de ses joueuses : « c’est une équipe où se côtoient des joueuses françaises, d’Europe, d’Asie ou d’Amérique Latine et de différentes générations. Des joueuses ayant connu l’époque du foot amateur et la nécessité d’avoir un travail pour vivre, évoluent aujourd’hui avec celles qui, encore mineures, ont commencé leurs carrières comme footballeuses professionnelles ». Elle estime que le grand public ne s'intéresse pas au football féminin parce qu'il ne connaît pas les joueuses et espère que ce film sera l'occasion de réparer cette méconnaissance. « L’idée n’était pas de faire un publi-reportage sur l’OL, mais bien d’entrer au cœur d’une équipe, à la rencontre de joueuses professionnelles d’exception ».
Le tournage s'est déroulé de fin février au 18 mai 2019, date de la finale de la Ligue des Champions. La réalisatrice a d'abord filmé quelques matchs sans partager le quotidien des joueuses avant de s'installer à Lyon et de les côtoyer tous les jours au centre d’entraînement. Informée par l'Olympique Lyonnais des autres événements (shooting photos, …), elle avait la liberté de filmer ce qu'elle voulait et a négocié avec l’entraîneur Reynald Pedros de venir toute seule avec une petite caméra, puis de venir un moment avec une petite équipe. « J’ai dû trouver ma place : vis-à-vis des joueuses et de l’entraîneur surtout. Parfois, c’était plus compliqué que mon dernier film The Ride, et pourtant je filmais des Sioux ! Si Jean-Michel Aulas était d’accord sur le principe, je devais discuter et demander au quotidien à l’entraîneur ».
Stéphanie Gillard a été confrontée à plusieurs contraintes, d’organisation (le planning des matchs et des joueuses avec l’arrivée de la Coupe du Monde), de droits (elle ne pouvait pas filmer comme elle le voulait un match), de secrets de coaching qui ne doivent pas être rendus publics, de matériel (il ne pouvait pas y avoir 4 caméras) et de l’incertitude du sport (elle ne savait pas quand aurait lieu un but, et s'il allait y en avoir un).
La réalisatrice a apporté un soin particulier au son, influencée par le film Zidane, un portrait du XXIème siècle : « Tout le monde avait beaucoup parlé des 28 caméras, des optiques pour filmer la lune, mais très peu du son alors que tout avait été refait. Les réalisateurs avaient expliqué qu’ils avaient dû recréer tout le son du film car un spectateur ne pouvait pas entendre pendant 90 minutes dans une salle le son tel qu’on l’entend du milieu du terrain, que c’était insupportable ».
Stéphanie Gillard admet que la question de la parité dans le sport et la société n'était pas à l'origine au cœur du film. C'est la productrice Julie Gayet qui l’a amenée à se confronter à ces questions féministes : « De fait, raconter une équipe féminine allait forcément raconter aussi une évolution féministe. Comme si la quête de la victoire sportive se doublait d’une autre victoire, sur la société cette fois. J’ai donc cherché à les filmer comme une équipe de foot avant tout, et les questions féministes sont apparues naturellement, car ils y sont confrontées tous les jours ».
Le sous-titre du film vient d'une tribune de la joueuse Ada Hegerberg intitulée « Not here to dance », qui est devenu un hashtag très populaire sur Twitter, #paslàpourdanser dans sa version française.
Le foot féminin en quelques dates :
- 1917 : Premier match de football féminin disputé en France.
- 1918 : Le Fémina Sport, club omnisport féminin, organise des matchs dans toute la France pour promouvoir le football féminin.
- 1941 : Le Régime de Vichy « interdit rigoureusement » la pratique du football féminin, jugé « nocif pour les femmes ».
- 1968 : Le premier club de foot féminin, l’ASJ Soyaux, est créé à Angoulême alors que la licence de foot n’existe pas encore pour les femmes.
- 1974 : Création du Championnat de France Féminin de Foot ou Division 1.
- 1980 : L’UEFA crée la commission fédérale du football féminin.
- 1991 : La FIFA reconnaît officiellement la coupe du monde de football féminin.
- 1996 : Le premier tournoi féminin de football est organisé lors des JO d’Atlanta.
- 2003 : Première participation de la France à une phase finale de Coupe du Monde.
- 2004 : L’Olympique Lyonnais se dote d’une équipe féminine.
- 2018 : Le premier Ballon d’Or féminin est attribué à Ada Hegerberg, attaquante norvégienne évoluant à l’Olympique Lyonnais.