Plus de dix ans après Nous, princesses de Clèves, Régis Sauder consacre un second film aux anciens lycéens. Le cinéaste n'a en effet jamais perdu le contact avec ces jeunes et a partagé, avec eux, certains moments difficiles (comme quand Laura et Morgane ont perdu leur maman peu de temps après le bac) et joyeux (le mariage de Morgane). Il se rappelle :
"Je les ai toujours accompagnées, elles ont gardé mes enfants... Le lien est resté très fort avec elles. Avec d’autres, lorsqu’il y avait un éloignement géographique notamment, les réseaux sociaux ont pris le relais. Abou est toujours resté en contact, j’ai suivi Sarah virtuellement lors de son départ dans le Nord de la France, en Angleterre puis au Portugal..."
"Ils me donnaient des nouvelles ou je leur en demandais, très naturellement. Un jour Morgane m’a appelé pour me parler d’un podcast d’Arte Radio, Que sont-ils devenus ? dans lequel une enseignante devenue journaliste radio retrouve ses anciens élèves, des années après. Morgane m’a dit : “Et si on faisait ça ?” J’avais déjà en tête l’idée des retrouvailles mais sans l’avoir vraiment formulée."
Pour En nous, Régis Sauder n'a pas retrouvé toute la petite bande de Nous, princesses de Clèves... Avec l’éclatement spatial, le metteur en scène ne pouvait pas compter sur le même nombre de protagonistes et a donc fait appel à ceux qu'il a senti les plus engagés dans ce désir de film :
"J’ai dû en retrouver certains comme Aurore par exemple : son histoire était plus compliquée, je ne savais pas si elle trouverait sa place dans le film mais je voulais savoir ce qui s’était joué pour eux, cela donnait un sens au projet."
"Enfin, j’ai été frappé de voir que beaucoup de ces jeunes avaient épousé des filières de soin ou la fonction publique : Abou, Laura, Morgane, Armelle. J’ai compris qu’il y avait dans ce don de soi, ce besoin de réparer, un fil rouge pour mon récit."
"Pendant le premier confinement, avant le tournage, Abou, qui est infirmier, a partagé une vidéo pour dénoncer ses conditions de travail, 75 heures par semaine, sans matériel... Il a été mis à pied et il est parti en Suisse. Quand j’ai commencé à écrire le scénario, il vivait encore à Marseille. On l’a suivi."
"La question du service public a pris une place centrale. Elle venait d’eux mais rejoignait mes propres inquiétudes. Ces jeunes issus des quartiers populaires sont ceux qui soignent nos parents, nos enfants. Abou se sacrifierait pour le service public, son départ n’a rien d’une trahison, c’est de la survie."
Régis Sauder a voulu utiliser les images de Nous, princesses de Clèves tournées en 2010 en les décontextualisant du récit matriciel de ce film-là, centré sur la rencontre entre un texte et les élèves. Le réalisateur précise :
"Je n’utilise que des moments de dialogue sur la vie, leur avenir : ils ont dix-sept ou dix-huit ans, ils font l’énoncé de leurs rêves. La magie du cinéma révèle ce qui se passe à partir de ces rêves énoncés : ce que Virginie a fait, par exemple, de son désir de robe blanche."
"Concrètement, il s’agissait de trouver dans l’archive le plan qui racontait le mieux chacun d’entre eux, mettait en tension les dix ans passés. Ce face-à-face était d’autant plus éloquent que la crise sanitaire nous a rattrapés en cours de production."
"L’effet de distance s’est trouvé décuplé par le fait qu’il y avait d’un côté des visages masqués, de l’autre des visages qui s’offrent dans la plénitude de l’adolescence."
Avec En nous, Régis Sauder a voulu mettre en scène une traversée héroïque faisant la part belle à l'urbanisme, contrairement à Nous, princesses de Clèves pour lequel il a opté pour une réalisation davantage centrée sur les visages. Il explique :
"Ce sont des récits de conquêtes que chacun fait, rien ne leur est offert. Ils s’approprient cet espace, on les voit d’ailleurs beaucoup au volant. Le motif de la voiture s’est imposé à la fois parce qu’on traverse des décors urbains, et aussi parce qu’ils conduisent leur destin, ils sont aux manettes en quelque sorte."
"Le film suit ce mouvement. J’ai travaillé à partir d’un scénario très écrit, mais plusieurs scènes ont été tournées en amont, à leur initiative. Laura m’avait demandé de venir à sa soutenance de thèse. Cadiatou m’avait proposé de venir à la manifestation pour Adama Traoré, à l’exposition au Musée d’Orsay sur le modèle noir."
"Elles me convoquaient ! Ces images-là, je les ai filmées seul, elles avançaient, je leur courais après. Je fais du documentaire mis en scène, très écrit, mais le réel c’est aussi savoir être disponible, se trouver là où quelque chose se joue."
Pour Régis Sauder, ce "nous" représente la société que nous formons, que nous sommes en train de construire et qui gagnerait prendre davantage en considération les jeunes : "Ils font partie d’une génération qui s’empare des questions féministes, raciales et sociales. J’assume un film de wokisme, de réveil, mais c’est à eux, en eux que se construit ce récit. Le cinéma est leur territoire."
"C’est aussi un territoire que j’ai gagné, qui ne m’a pas été donné, que je continue de prendre à chaque film : le lieu où leurs récits rencontrent mes récits. Même si la dimension raciale notamment n’est pas la mienne, c’est ma vie, celle d’époux d’une enseignante qui continue d’y croire. C’est pour elle que j’ai fait ce film, aussi", confie le cinéaste.