Léa Mysius nous a laissé un souvenir impérissable d’Ava sur la Croisette, avant de revenir avec un récit fantastique qui navigue constamment entre deux pôles. Toujours dans un esprit intimiste et plein de tendresses, elle passe de la vue à l’odorat, qui au lieu de s’éteindre, s’amplifie au profit d’une narration qui prend un bain glacé. Une fine couche graisseuse sépare ainsi le chaud du froid et c’est sur la base de cet élément odorant que l’intrigue convoquera la perspicacité du spectateur. Il n’y a pas de révélations capitales dans le scénario, co-écrit par Paul Guilhaume, où l’on préférera investir l’enquête d’une petite fille, dont l’existence est questionnée par les relations de ses parents et de leur entourage.
Joanne (Adèle Exarchopoulos) est une mère qui vit en suspension, comme maître-nageuse et qui vit donc presque exclusivement au bord de l’eau. Lorsque qu’elle songe à y pénétrer, cela se fait dans des conditions extrêmes, comme pour se laver d’un sentiment de regret, le même qui hante son passé, placardé sur des murs ou exposé comme des trophées qui n’ont rien de plus qu’une valeur sentimentale. Sa fille, Vicky (Sally Drame), entretient une relation fusionnelle avec elle, en l’accompagnant partout, car elle n’est pas prête à perdre sa trace, elle dont l’odorat deviendra l’outil et la passerelle la plus élaborée, afin d’explorer les secrets de sa famille, à une époque où l’amour fraternel et celui de la passion foudroyante avait rassemblé « Les Cinq Diables » sous la même bannière.
La couverture fantastique apparaît alors comme une illusion, pour que l’on se concentre sur les personnages qui peuplent ce village sournois, qui détourne le regard sur le harcèlement scolaire et qui affiche en permanence une haine sur un drame passé, qu’il est nécessaire de comprendre pour en juger. Les yeux de Vicky viendront alors rapidement croiser ceux de Julia (Swala Emati), sa tante qui revient après des longues années d’exil. Elle s’évade ainsi en concoctant ses bocaux odorants, propres à chacun dans le but d’affiner les personnalités, qui divergent dans un premier temps, mais qui se révèlent peu à peu complémentaire dans la manière dont tout le monde est passé à côté de la vie souhaitée. Jimmy (Moustapha Mbengue), qui est marié à Joanne, n'est pas aussi heureux qu’il le prétend. Lui et sa brigade de pompier se noient dans le karaoké et la mystérieuse Nadine (Daphne Patakia) cache une douleur bien plus profonde derrière ses cicatrices.
Ensemble, c’est la triste destinée de ces adultes que Vicky découvre avec ses yeux d’enfant. Elle, qui croît peu à peu perdre l’amour de sa mère, devrait parvenir à libérer son esprit pour un geste d’une grande maturité, là où la génération qui la précède se cache derrière un rideau de fer, les éloignant plus encore du bonheur. Ce sont ces souffrances que Mysius cherche à capter et à soulager. Cela sera plus délicat lorsqu’il s’agira de transposer le don de l’héroïne à l’écran, mais le jeu de piste vaut le détour par cette vallée, qui a alimenté la haine et un incendie pendant trop longtemps.