Ce premier film de Melville, réalisé sans moyens, est l’éblouissante adaptation du bref récit de Vercors. On plonge véritablement dans cette histoire, et au fur et à mesure que le film se déroule sous nos yeux, c’est comme si l’on nageait dans le roman. Cette impression est due non pas tant à la fidélité de Melville pour le texte de Vercors, qu’au style particulièrement austère et sans ornements, emprunté directement au livre. Une narration simple, des cadrages basiques, une interprétation tranquille et sans ajout d’événements auxiliaires. Ainsi, il est dommage que Melville se soit servi par moments d’une musique trop encombrante, plutôt que de se contenter d’un confinement nécessaire au récit et de mettre en valeur la scène splendide où l’officier joue un prélude de Bach à l’harmonium. Les quelques flash-backs qui servent le film sont eux aussi importuns et détruisent l’unité d’espace si chère et si précieuse à cette atmosphère confinée et hivernale. Par ailleurs, donner au personnage de l’officier allemand une dimension humaine inhibe une partie de son intérêt, qui était d’être véritablement un spectre, une apparition brutale d’une conscience insoupçonnée chez les Allemands.
A cet égard pourtant, le film est une réussite : Quand l’officier arrive dans la maison du narrateur, il est couvert d’un uniforme de la haine et de la violence. A ce vêtement terrifiant s’oppose l’arme la plus efficace que les occupés pussent montrer : le silence de leur mépris.
Au fur et à mesure que les soirées passent, ils découvrent chez leur hôte involontaire un esprit et une délicatesse invisibles, si ce n’est dans ses manières affectées. Officier par accident, dans le hasard meurtrier de la guerre, il est musicien et aspire à une union des peuples dans l’âme de la culture. La culture doit unir les peuples, et pourtant l’on se bat. De cette absurdité, l’officier – dont on ne connaîtra jamais le nom, se fait le plus farouche détracteur. C’est d’une communion particulière, et née dans de mauvaises conditions, que s’établie un lien entre les Français et l’Allemand.
Sobre, sans prétention, à l’image de l’œuvre réputée inadaptable de Vercors, Le Silence de la mer au Cinéma n’aurait pas pu être différent, souffrir d’ornements qui n’auraient fait que détruire la simplicité merveilleuse du récit. Dénué d’action et rempli de sens, il s’agit d’une rêverie troublante que berce le tic-tac imperturbable d’une vieille horloge, et la voix monotone du narrateur, perdu dans ses souvenirs.