Il y a des biopics qui font revivre les musiciens à travers des enregistrements faits de leur vivant ( Ray, Django), des réinterprétations cinématographiques comme Bird où Clint Eastwood a confié à Forest Withaker la mission de réincarner la vie de Charlie "Yardbird" Parker…, et il y a Billie, film aux destins croisés, celui de la chanteuse Eleanora Harris Fagan dite Billie Holiday, surnommée Lady Day, née à Philadelphie le 7 avril 1915 et morte à New York le 17 juillet 1959, chanteuse américaine de blues et de jazz, considérée comme l'une des plus grandes chanteuses que le jazz ait connues….et puis il y a Linda Lipnack Kuehl, journaliste blanche et bourgeoise qui découvre Billie à la fin de son adolescence et qui dès le début des années70 et pendant huit années va s’atteler à retracer la vie de Billie, à partir à la rencontre de celles et ceux qui ont croisé son chemin …. Sans préjugés, sans limites, armée de son petit magnétophone, son bagout et sa passion en bandoulière, la jeune journaliste va recueillir près de 200 heures de témoignages : Charles Mingus, Tony Bennett, Sylvia Syms, Count Basie, les amants de Billie, ses avocats, ses proxénètes et même les agents du FBI qui l'ont arrêtée. Une myriade de voix pour faire revivre la diva. …Linda qui de fait n’aura jamais croisé son idole ira très loin dans son engagement dans ce milieu si particulier, entretenant une liaison avec Count Basie, alors beaucoup plus âgée qu’elle…Mais ce travail titanesque ne verra jamais le jour. Au matin du 6 février 1978, le corps de Linda Lipnack Kuehl sera retrouvé sans vie dans une rue de Washington. Elle se serait jetée par la fenêtre du 3ème étage, après s'être rendue à un concert de Count Basie. Elle n'aura pas laissé de lettre. Sur son visage : un masque de beauté, l'un de ses rituels avant d'aller se coucher. De quoi laisser planer le doute sur la thèse du suicide, comme l'affirment des membres de sa famille, la journaliste ayant reçu des menaces au cours de l'écriture de son livre. Lorsque que le producteur Barry Clark Ewers appelle le réalisateur James Erskine pour lui demander s’il y avait un film sur une personnalité du monde de la musique qu'il avait envie de faire. Immédiatement, l’histoire de Billie lui est venue à l'esprit … Le producteur Barry Clark-Ewers finit par débusquer les fameuses bandes chez un collectionneur du New Jersey qui avait acquis les œuvres de Linda auprès de sa famille à la fin des années 1980. 125 bandes audio vieilles de 50 ans, 200 heures d'interviews et le manuscrit inachevé de l'autrice. Une véritable mine d'or. A partir de ces bribes sonores vibrantes restaurées et numérisées, le réalisateur James Erskine tisse son patchwork. Il entrelace ces voix à des archives vidéo (merveilleusement colorisées) et des photos pour donner à voir et entendre l'artiste. Avec pour parti pris de la raconter à travers ses chansons. Mais également, en filigrane, il retrace la quête éperdue (et obsessionnelle) de Linda Lipnack Kuehl pour percer l'énigme Billie Holiday…Le film retrace la vie cabossée de Billie, de l’enfance misérable qui fut la sienne ç Philadelphie où elle connut la prostitution à 13 ans, à sa mort ruinée, une vie marquée par les addictions aux drogues , à l’alcool et aux hommes avec lesquels elle entretient des relations toxiques…C’est aussi la séductrice flamboyante, amatrice de Cadillac et de manteaux en vison, qui croquait compulsivement hommes, femmes, diamants et pilules. Et surtout, cette femme noire "trop" talentueuse pour l'Amérique ségrégationniste des années 30, qui osa faire monter la discrimination sur scène. C’est aussi l’histoire d’un engagement contre le racisme avec notamment la chanson Strange Fruit où elle aborde de front les lynchages alors courants dans le sud des Etats Unis… Billie …. Ce film construit à partir d’une riche et abondante documentation, qui le rend assez bavard, laisse heureusement une large place à la voix inoubliable de Lady Day…Si le procédé de mêler les trajectoires de Billie Holiday et de Linda Lipnack Kuehl, peut déconcerter, il n'en est pas moins original et courageux. James Erskine a été frappé par le processus d'identification d'une journaliste à l'objet de ses recherches, et à ses conséquences peut être fatales. Finalement, son film est un double hommage à deux femmes en quête de vérité, d'authenticité, de liberté. Pour cela il mérite d’être vu.