Le film porte le nom d’une barre d’immeuble conçue par l’architecte cambodgien Lu Ban Hap et le franco-ukrainien Vladimir Bodiansky en 1963, suivant un plan d’urbanisme du modernisateur Vann Molyvann, à l’époque du roi Sihanouk. Cette résidence d’état, située en plein cœur de la ville, était destinée aux fonctionnaires du ministère de la Culture. Elle a été vidée de ses habitants pendant le régime des Khmers Rouges. Puis dans les années 1980, la population s’y est réinstallée, comme le père de Kavich Neang, sculpteur. « L’immeuble mal entretenu a vieilli, et au tournant des années 2000, il a commencé à avoir mauvaise réputation en raison de l’arrivée de drogués et de prostituées. Moi, j’ai grandi avec eux, c’étaient mes voisins. Cela faisait des années qu’on entendait des rumeurs de démolition », se souvient le réalisateur. En 2014, le gouvernement projetait de détruire le White Building pour développer la zone, en vendant le terrain à prix d’or à une compagnie japonaise. Les propriétaires ont accepté une compensation financière pour quitter le White Building, qui a finalement été détruit en 2017. Le terrain aurait finalement été racheté par une compagnie hongkongaise qui veut y construire un casino.
Capitale du Cambodge, Phnom Penh est une ville en pleine transformation. Le réalisateur développe : « De vieux immeubles disparaissent, des pans de notre passé, tandis que des condominiums, des centres commerciaux, et des magasins modernes climatisés poussent partout… Je remarque aussi la présence chinoise croissante. Mais je dirais que c’est surtout le rythme de la ville qui a changé. Les habitants sont plus stressés, il y a moins de place pour la langueur, mais ils restent les mêmes, la mentalité ne change pas. »
White Building est le premier long-métrage de fiction de Kavich Neang, qui a tourné auparavant des documentaires, dont Last Night I Saw You Smiling, qui évoquait déjà le White Building et qui devait à l’origine être un film de fiction sur de jeunes danseurs du Building. Mais le long processus de financement et la confirmation de la destruction de l’immeuble ont poussé le réalisateur à s’emparer de sa caméra avec une équipe réduite. Le projet est devenu un documentaire à part entière mais a influencé White Building : « Dans le documentaire je me sentais passif face à l’évacuation de l’appartement où je vivais navec mes parents, impuissant à combattre ces forces qui me dépassaient. Alors que dans le film, j’étais en mesure de mettre ces forces en scène, de créer des personnages consistants, en un sens de lutter contre le désespoir et l’oubli, afin de questionner le public, et créer du débat. »
Le White Building avait déjà été détruit quand le tournage a commencé mais le réalisateur avait 40h d’images de rushs filmées pour le documentaire Last Night I Saw You Smiling. Il confie : « Je ne voyais pas de lieu alternatif, j’étais comme aveugle, c’était dur pour moi de tourner la page physique du Building. Mon équipe a trouvé d’autres immeubles, comme Block TanPa et l’ancien Institut Pasteur, qui datent de la même époque. J’ai alors commencé à voir le Building comme un lieu symbolique, et à prendre de la distance avec mon histoire personnelle avec ce lieu. »
La majorité du casting est composée d’acteurs non-professionnels que le réalisateur a rencontrés en travaillant sur ses précédents courts-métrages. Les parents du héros sont quant à eux incarnés par des acteurs issus du théâtre.
White Building est divisé en trois parties. La première, Bénédiction, représente l’insouciance de la jeunesse ; la deuxième, La Maison aux esprits, est « davantage liée à quelque chose d’invisible, une sensation de pression qui peut être d’ordre spirituel, religieux, ou culturel. Elle parle pour moi de l’anxiété, et du fossé générationnel », selon le réalisateur. Enfin, la troisième partie, Saison de la mousson est plus douce-amère : « Beaucoup de gens expulsés de la ville qui n’ont pas les moyens de se réinstaller reviennent dans leur village natal. Dans le film, c’est un lieu paisible, proche de la nature, mais c’est peut-être le lieu d’une réunion impossible pour la famille de Samnang. »
Avec le franco-cambodgien Davy Chou et l’américano-taïwanais Steve Chen, le réalisateur Kavich Neang a fondé en 2014 la société de production Anti-Archive : « Nous sommes la seule société de production à proposer des films que je qualifierais de “cinéma lent”, des films proches du réel, personnels, attachés aux questions de mémoire. Ces films peuvent paraître ennuyeux aux yeux du public cambodgien qui aime se divertir, s’évader, rêver en grand. […] Je me suis donc résolu à ne pas vivre de ma passion, mais à vivre ma passion, ce qui me procure un sentiment de liberté. »
Alors que White Building avait été sélectionné en 2016 à l’Asian Project Market de Busan, l’équipe s’est mise à la recherche de producteurs. En feuilletant le catalogue du festival, elle est tombée sur Jia Zhang-ke. Le réalisateur raconte : « Comme nous sommes fans de ses films et qu’il s’intéresse à des problématiques proches de White Building en lien avec la transformation urbaine, et pratique aussi le documentaire, nous l’avons contacté et lui avons envoyé le script. Et il a répondu positivement, et est devenu notre coproducteur ! Comme quoi, il faut toujours tenter sa chance. »