La Ligne : les secrets du tournage

Lors de la préparation, la réalisatrice a dessiné une cartographie imaginaire des lieux afin de poser le territoire du film. Elle a commencé à tracer des lignes et des cercles autour de la maison imaginaire afin de figurer des espaces interdits au personnage de Margaret. Cette topographie est venue se confronter à la pandémie de Covid-19 et aux restrictions sanitaires : "comme si les lignes que je traçais sur le papier et au milieu desquelles je me perdais parfois avaient contaminé l’espace réel autour de moi, j’ai commencé à les voir apparaître dans les rues, peintes sur le bitume, les lieux publics... L’espace se quadrillait jour après jour... La distanciation sociale et les gestes barrières entraient dans nos vies. Les frontières entre les pays se refermaient les unes après les autres. Je me suis alors rendue compte à quel point le projet résonnait de façon troublante avec ce que nous étions en train de vivre en pleine pandémie."

La Ligne a été tourné en Suisse, dans une région qu'Ursula Meier connaît bien puisqu'elle y a filmé L’Enfant d’en haut mais aussi Des épaules solides, un téléfilm de la collection ARTE sur le thème « Masculin Féminin ».

Inspirée par certaines photographies de Jeff Wall, la réalisatrice a d'abord recherché une route très large dans un quartier résidentiel, avant de se réorienter sur la recherche d’une maison située dans un espace plus ouvert et moins structuré. "Cette nouvelle approche rendait « la ligne », la frontière, encore plus étrange et absurde, celle-ci coupant sans logique apparente à travers différents espaces hétéroclites : une route, un parking, des champs, un canal...", explique Ursula Meier. Une fois les lieux choisis, une réécriture du film a été effectuée pour tenir compte de la disparité et de la singularité du décor : "On ne sait pas où on est, un étrange mélange d’eau et de montagne, de tours HLM faisant face à une pêcherie, des lotissements à proximité d’un chantier naval... le tout traversé par le va-et-vient des trains. Et c’est justement à la croisée de tous ces espaces que Margaret s’ancre, elle qui justement ne parvient pas à prendre le large, à « quitter » au sens large comme au figuré (sa famille, son ex compagnon)."

La plupart des films ou des récits connus qui ont développé des personnages violents physiquement l’ont fait au travers de personnages masculins. Quand cette violence est incarnée par des personnages féminins, il s'agit la plupart du temps d'adolescentes rebelles. La réalisatrice souligne : "La singularité dans La Ligne est qu’il s’agit d’une jeune femme de trente-cinq ans qui perd le contrôle. Tout à coup ce “modèle” du cowboy solitaire s’incarne au travers d’“elle” plutôt que de “lui”."