Memory Box du couple à la ville Joana Hadjithomas et Khalil Joreige est un excellent film qu’on regarde avec une charge émotionnelle forte quand on connaît le Liban, quand on y a vécu sans pour autant avoir son destin lié à celui de ce pays déchiré depuis si longtemps.
L’histoire, fort bien écrite, se résume à peu mais s’y développe à l’image de tous ces instantanés qui s’affichent à l’écran. Maia qui vit au Canada reçoit un beau matin, jour de Noël, une boite qui contient les souvenirs expédiés pendant la guerre civile libanaise à une amie partie pour le Canada. Il y a là cahiers d’écriture, photos, cassettes, coupées de journaux, tickets de cinéma et même des odeurs. Un monde de souvenirs qui intrigue Alex, la fille de Maia, qui ne sait rien de la jeunesse de sa mère, entre 1982 et 1987 (elle a de 13 à 18 ans) et de l’histoire de son pays à part quelques bribes d’histoire officielle distillée par la la propre mère de Maia, Téta. Alex découvre en cachette un monde qui lui a totalement échappé et que les deux femmes, Maia et Téta, ont tenu secret et cherche à oublier depuis qu’elles ont quitté le Liban après la mort du père, instituteur qui se retrouve sans travail après le bombardement de son école.
Le dévoilement du passé si soudainement ramène à la réalité ce qui a été longtemps enfoui, des moments intenses, une vie et des lieux disparus, des visages qui s’animent à nouveau, des tubes de l’époque et la violence d’une époque où la peur était toujours présente. Les photos débordent de leur papier vieilli pour passer dans la réalité. Certains secrets longtemps maquillés ressurgissent aussi. C’est convaincant et très bien conduit - très bonne casting avec l’émouvant visage de RIm Turki- et le récit non linéaire, qui prend parfois l’allure d’un clip est très séduisant pour traduire ce mélange de peur et de joie de vivre qui alternent en permanence quand on vit sous les bombes et que la vie continue malgré tout.
Tout le cinéma ou presque de Joana Hadjithomas et Khalil Jareige tourne autour de l’échelle du temps. Faut il se souvenir ou se tourner vers le futur? oublier ou témoigner (« Je veux voir » en 2008) ? dissimuler ou raconter et transmettre? Memory Biw est certainement, de ce point de vue , l’opus le plus accompli. Au Liban, on n’a jamais pu écrire l’histoire de la guerre civile et les violences de 2006 ont laissé intactes de profondes meurtrissures. Chaque famille y a abandonné quelque chose, ceux qui sont partis et ceux qui sont restés.
Il y a une boîte à souvenirs dans chaque maison et la question de savoir s’il faut ouvrir les yeux ou les fermer est toujours sans réponse. La guerre hante les esprits comme elle hante le cinéma qui l’interroge et interroge le destin qui est une ligne brisée : Maroun Bagdadi, Ziad Doueiri, Philippe Aractingi, Nadine Labaki pour n’en citer que quelque uns. A la fin du film, Maia retourne au Liban, tirée par ses souvenirs et avec sa fille Alex qui découvre son pays qu’elle ne connaît pas. Elle retrouve ses amis et son amour de jeunesse, tous restés ou revenus. Téta qui n’est pas venue demande de Montréal à Alex de lui ramener une photo du soleil. Le soleil qui monte et puis se couche dans une image en boucle, circulaire, trace le cycle des jours, sans fin. Le Liban ne meurt pas.