Ibrahim est le premier long métrage réalisé par Samir Guesmi. Ce comédien à la carrière prolifique avait, en 2007, mis en scène le court métrage C'est dimanche !, également centré sur les rapports complexes entre un père et son fils. Le cinéaste se rappelle :
"J’ai écrit C'est dimanche ! sur la base de notes prises dans un carnet, qui se sont transformées en histoire. J’ai fait lire ce que j’avais écrit et j’ai été encouragé à tourner mon court métrage. Je pensais, dès lors, en avoir fini avec cette histoire, puis j’ai eu une révélation : j’ai découvert une partie de moi que je ne connaissais pas. Avec mon court métrage, j’ai fait le tour du monde. J’ai été exhorté à continuer sur cette voie par les gens que je rencontrais. Alors que je tournais Bancs publics de Bruno Podalydès, le producteur Pascal Caucheteux a vu C'est dimanche !. Quelques années sont passées et je suis revenu le voir avec le projet d'Ibrahim. Son degré d’exigence et d’intransigeance m’a permis de ne tourner mon film qu’une fois le scénario vraiment abouti. Et cet accompagnement a duré jusqu’à la copie finale."
Avec Ibrahim, Samir Guesmi a fait le pari de l'ellipse, partant du principe que moins le spectateur en sait, plus il sera attentif à ce qui lui est montré. Le réalisateur a voulu raconter une histoire émouvante qui se termine par le père mettant sa main sur la joue de son fils :
"C’était ma gageure : comment cette main sur cette joue pouvait-elle être l’équivalent d’une explosion spectaculaire ou d’une révélation sidérante ? À partir du moment où j’avais défini cet objectif, il me fallait bâtir mon récit à l’échelle de cette caresse. Je me suis appuyé sur des micro-détails de la vie quotidienne : le tatouage d’Ahmed évoque son passé de voyou ; un cendrier rempli de mégots raconte une nuit sans sommeil ; un papier froissé dans une poubelle exprime le renoncement d’Ahmed à aller au bout de son projet."
Tous les personnages du film sont confrontés crûment à la dureté de la vie. Samir Guesmi confie : "Ils sont à l’endroit le plus rude : ils connaissent le manque et cela les rend dignes et humains. Mon travail consistait à les éclairer et à raconter leur histoire. D’autant qu’il me semble que le cinéma a moins montré le prolétariat que la classe aisée. C’est une des raisons qui me fait aimer, entre autres, le cinéma italien d’après-guerre et celui de Chaplin. Ces Français avec leur gueule d’ailleurs, qui se lèvent très tôt pour aller bosser, et dont on parle si peu, j’avais envie de rentrer chez eux, de raconter leur intimité. Leurs histoires, si peu représentées au cinéma, m’ont manqué."
Samir Guesmi voulait une image correspondant au cadre spatial du film : une cité en brique rouge-ocre des cheminots du début du siècle située au sud du 13ème arrondissement de Paris. "Parce qu’elle a bercé mon enfance et mon adolescence et que je l’ai toujours trouvée « beau-moche ». Avec le jaune des lampadaires, le reflet des briques crée une image magique. Je voulais aussi restituer la grisaille parisienne et je trouve sublime ce que Céline Bozon en a fait. Quant aux couleurs crues de la cuisine dans laquelle on filmait ces deux personnages, il n’y avait rien à transformer : je tenais à rester fidèle à ce qui se présentait sous mes yeux et à ce que je ressentais. Avec simplicité, encore une fois", précise le cinéaste.
Ibrahim a remporté le Valois de Diamant, plus haute récompense du Festival du Film Francophone d'Angoulême, qui s'est tenu du 28 août au 2 septembre 2020. Ce premier long métrage y a aussi décroché le Valois de la mise en scène et du scénario. Par ailleurs, il a fait partie de la Sélection Officielle Cannes 2020.
Abdel Bendaher incarne Ibrahim. Il s'agit de sa première expérience devant une caméra. A six semaines du tournage, Samir Guesmi n'avait toujours pas trouvé son acteur principal. C'est en allant caster à la Porte de Montreuil, où avaient lieu les matchs du dimanche après-midi, qu'il a rencontré Abdel.
"Il sortait du stade avec deux amis. C’est celui qui parlait le moins. Je l’ai tout de suite remarqué. Il était méfiant et se cachait derrière ses potes. Je lui ai donné mon numéro et j’ai su instantanément que c’était lui. J’ai pris cette rencontre comme un cadeau. Le fait de l’avoir rencontré si tardivement a permis qu’on se flaire longtemps et cela a servi au film, car nous avons commencé par tourner les séquences dans l’appartement entre Ibrahim et son père", se souvient le metteur en scène.
On retrouve au casting d'Ibrahim la "bande de Sólveig Anspach", composée de Florence Loiret-Caille, Philippe Rebbot ou encore Samir Guesmi. Ce dernier précise : "Au-delà du fait que ce sont mes amis, ce sont aussi de grands acteurs. Pour le rôle de Jean, j’avais envie d’un acteur dont on n’allait pas se méfier une seule seconde. Philippe s’est immédiatement imposé. Et surtout, ce rôle l’embarquait à un endroit de jeu dans lequel on ne l’avait pas encore vu. Quant à Florence Loiret-Caille, c’est ma frangine de travail. J’avais envie qu’elle soit avec nous, et avec Djemel Barek, qui jouait le père dans C’est dimanche ! Djemel nous a quittés l’été dernier et le film lui est dédié."