Près de dix ans après Sur la piste des Mohawks et sa dernière utilisation du Technicolor dans un western, John Ford renoue avec son passé filmographique pour réadapter l’un de ses films muets aujourd’hui considéré comme perdu : Les Hommes marqués (1919).
Ce long-métrage était lui-même un remake d’une précédente adaptation cinématographique d’une nouvelle de Peter B. Kyne, The Three Godfathers (1916), de Edward LeSaint. Le livre inspire, après John Ford, au moins deux autres longs métrages, Hell’s Heroes (1929) de William Wyler et Three Godfathers (1936) de Richard Boleslawski. Une influence que l’on peut donc considérer comme prolifique.
Les années 1947-1948 voient l’arrivée sur les écrans de nombreux westerns sans aucune brutalité, dont l’un des exemples est justement Le Fils du désert. Ici encore, malgré de nombreux personnages perdant la vie, il n'y a aucune mort violente, la traque étant menée par un homme de loi refusant de tuer. De leur côté, les attendrissants aventuriers hors-la-loi ne sont pas non plus prêts à faire de mal à une mouche. Un pari risqué mais réussi de la part de Ford et de ses scénaristes de s’être à leur tour éloignés de toute violence au sein d’un genre qui en a fait l’un de ses éléments essentiels. Néanmoins, que les avides d’action ne pensent pas que le film en soit dénué : la poursuite qui suit l’attaque de la banque est superbement réalisée, avec des travellings latéraux qui rappellent la scène similaire dans La Chevauchée fantastique.
L’acteur principal de la première version fordienne de la nouvelle de Peter B. Kyne, en 1919, était Harry Carey, qui est d’ailleurs mort peu avant le tournage du Fils du désert, en 1947. Premier acteur fétiche de Ford, héros d’un nombre incalculable de premiers films du réalisateur au temps du muet, avant de revenir à intervalles réguliers en tant que second rôle dans plusieurs westerns, dont le dernier était La Rivière rouge (1948) de Howard Hawks, sa silhouette et sa singulière façon de se tenir sur un cheval étaient devenues familières aux aficionados du genre, si bien que John Ford a dédié le film à sa mémoire et a engagé son fils pour tenir l’un des trois rôles principaux. « To the Memory of Harry Carey, Bright Star of the Early Western Sky » : telle est la phrase qui apparait à la fin du générique de début. Il s’agit donc d’une belle passation de pouvoir d’un père à son fils.
Pour autant, Harry Carey Jr. n’a pas été épargné par John Ford sur le tournage du film, qui a fait preuve d’une dureté qui a probablement quelque peu traumatisé le jeune acteur. En effet, le cinéaste, qui l’avait pris pour tête de turc, lui disait à la première occasion que s’il avait su qu’il aurait été aussi mauvais, il l’aurait remplacé dès le début par Audie Murphy.
Après l’attaque d’une banque, trois hors-la-loi prennent la fuite à travers la vallée de la Mort, pourchassés par un shérif pacifiste et ses hommes. Sur leur chemin, le groupe en cavale rencontre une femme abandonnée, sur le point d’accoucher. Cette dernière, avant de mourir, leur confie le bébé.
La photographie en Technicolor de Winton C. Hoch est une merveille. John Ford a beau avoir changé de cadre et quitté les plateaux de Monument Valley, les images qu’il propose dans la vallée de la Mort, dans la chaine montagneuse de la Sierra Nevada, ont une beauté rarement égalable dans le genre western. Le film a été tourné entre mai et juin 1948, sous une chaleur de plomb au sein de ce désert inhospitalier, si bien que John Wayne a dû être hospitalisé après avoir été gravement brûlé par le soleil.
L’acteur fétiche de Ford, malgré les critiques faites à l’égard de sa performance, dont certaines regrettant ses précédentes interprétations sobres et viriles, montre tout de même un visage plus tendre que dans ses rôles habituels, une variation intéressante et parfois assez comique, comme lors des séquences où son personnage découvre les tenants de la paternité.
De même, attaqués pour leur soi-disant transparence, les deux acteurs qui l’accompagnent, Pedro Almandariz et Harry Carey Jr., s’en sortent quand même plutôt bien face à un monstre sacré du cinéma, apportant une fraîcheur agréable dans cette chaleur du désert. Un trio somme toute convaincant, qui fait passer les valeurs voulues par Ford avec sincérité et tendresse.
Mais s’il y a bien quelque chose à retenir de ce long-métrage, un aspect qui a souvent étonné et dérouté, c’est la parole biblique déroulée en filigrane, le titre du film y faisant même directement référence grâce à une périphrase désignant explicitement Jésus-Christ, lui aussi né dans des collines désertiques. Le cinéaste transpose ainsi l’épisode biblique de la Nativité dans le désert californien.
En effet, Ford illustre cette parabole chrétienne en l’inscrivant dans un paysage naturel sauvage et inhospitalier. L’intrigue, empreinte d’une forte connotation religieuse, s’inscrit également dans ce thème. Les trois personnages principaux peuvent être décrits comme de nouveaux Rois Mages, quelques notes au piano du saloon de La Nouvelle Jérusalem reprennent un chant de Noël, la traversée du désert des hors-la-loi peut être assimilée au chemin de croix réalisé par Jésus, Wayne fait la découverte providentielle d’une ânesse, et avant lui, ses comparses trouvent une bible qui, par le hasard des pages tournées, conduit la troupe en cavale vers la rédemption, le sacrifice et la délivrance.
L’aspect fable de ce scénario fait l’originalité du film mais aussi malheureusement sa plus grande faiblesse, l’allégorie n’étant pas toujours exempte de lourdeurs, les connotations religieuses se révélant bien trop appuyées, comme lors de l’apparition presque surnaturelle et inexpliquée de l’ânesse. On peut aussi regretter une trop forte tendance au bavardage dans la partie centrale du film, et un manque de rythme global malgré un bon départ.
Un autre message fort du film, qu’on retrouve d’ailleurs dans de nombreux films de Ford, comme dans La chevauchée fantastique, pourrait se résumer au célèbre proverbe : « l’habit ne fait pas le moine ». En effet, dans leur rapport à la mère mourante et à l’enfant, Ford montre la profonde humanité qui anime les actes des trois hommes, qui sont des bandits et que la société réprouve, donnant une parfaite illustration du proverbe.
Le Fils du désert est un film sur la bonté, qui fait l’éloge du don de soi et de l’entraide. Ford y montre trois brigands sur le chemin du sacrifice et de la rédemption, exaltant ainsi deux valeurs religieuses fondatrices des Etats-Unis, en s’appuyant, qui plus est, sur une réinterprétation de la parole sainte au sein du désert californien. Si ce western a pu être critiqué pour son manque de finesse dans son allégorie religieuse, sa photographie superbe montre une fois encore le talent de John Ford pour ces espaces brûlants et hostiles et mérite à elle-seule le coup d’œil.