Au début on se dit, étonné, que ça va être très beau, et en fait, c’est plus fort que ça, plus passionnant, à force d’être sans cesse surprenant. Je répète: sans cesse surprenant… quasiment toutes les coupes, presque chaque plan, et chaque scène.
Je suppose que c’est pour ça que, si on en croit la demi-douzaine de critiques sur allociné, des gens détestent autant le film (de façon délirante d’ailleurs: dire que la mise en scène est plate ou que ça ressemble à un téléfilm c’est de l’ordre du déni, comique si on le rapporte objectivement à n’importe quel passage du film).
Du « romanesque », du « lyrisme » plus ou moins contrarié, des « stars »? Si on veut mais le cinéma intimiste français (même en mode grand film grand public) est à mes yeux d'amateur de cinéma d'auteur complètement recomposé de l'intérieur (et même du côté de chez Demy, cinéaste de l’intime s’il en est- ici par exemple le rapport au chanté est bien plus ondoyant) : moi pour me raccrocher aux branches j’ai eu des flash-back de grosse cinéphilie classique! C’est qu’on survole d’emblée tout naturalisme (tout le début, jusqu’au post-it « adieu », évoque fortement Godard, ne serait-ce qu’au montage son- je parle pas du gag initial). Puis un instant Effira se transforme en Françoise Fabian: ira-t-on chez Rivette, la bande des quatre, l’amour fou? Oui, mais avec un ou deux paysages en fond, on pense au Hitchcock des 50’s; ou pour un décor de plage, par surprise toujours, à Pasolini, et voilà les fausses teintes sur ces jeunes footballeurs du dimanche, qui ont l’air croisés par chance. Je prends juste quelques exemples facile à évoquer avec des noms connus. Mais cette tenue formelle du film c’est superbe et émouvant. D’autant plus peut-être que je suis à peu près sûr de très peu partager la cinéphilie bien plus vaste de Bozon- du coup la plupart des choix me font l’effet d’étoiles filantes. Bref il y a de la mise en scène, du cinéma, vraiment.
En tout cas c’est fugace, orchestré brillamment, pas évident (avec ce truc bozonien peut-être du décalé au carré qui se recale), foisonnant, très original et vif. Cette brusquerie perpétuelle ménage toujours des respirations (une poignée de gag sur le travail de comédien par exemple), il y a des choses sombres et d’autres lumineuses : en fait c’est assez prodigieux de faire tenir ensemble autant de mouvements, aussi divers- même s’il n’y a pas de digressions et qu'on reste sur une ligne bien définie le film devrait être 30 fois plus épuisant avec tout ce qu’il y a dedans. Mais tout est finalement émouvant, même le plus acrobatique, ainsi les chansons ( et les quelques chorés, inattendues), qu’on oublie presque dans le feu roulant d’inventions.
Virginie Effira et Tahar Rahim font aussi des prodiges, avec une partition impossible (je parle pas de la musique, qui vaudrait un mot à part). Lui réussit des choses incroyables, elle peut tout jouer (même du piano ahah). Qui a pu tenir d’aussi beaux gros plans? Eux deux manifestement. C'était deux comédiens que j'estimais mais je ne les avais jamais trouvé si touchant- malgré des interprétations à juste titre très reconnues. Interloqué aussi par Alain Chamfort (qui fait bien plus qu’une apparition de vedette et qui s'avère très convaincant et profond) en statue du commandeur, et par le thème de la plupart des chansons, que je n’avais pas vu venir comme un balourd.
Je pense y retourner en fait.