Avec Babysitter, la réalisatrice Monia Chokri adapte la pièce de théâtre de la dramaturge et scénariste Catherine Léger (datant de 2016), dont elle admire le travail depuis longtemps. Elle explique : "Catherine a un humour qui décape fort, elle tire sur tout ce qui bouge, mais toujours avec acuité."
"En sortant du théâtre, c’était une évidence pour moi : il fallait adapter cette pièce au cinéma et il y avait même urgence à le faire. J’ai dit à Catherine que le premier des projets que j’avais envie de développer avec elle était Babysitter. Ca l’a emballée."
"Ce que j’aime dans sa pièce, et que j’aime de manière plus générale dans l’écriture, c’est le fait que les personnages se disent des choses alors qu’ils en pensent d’autres. C’est ce hiatus tchekhovien qui me plait. Puis, chez Catherine, rien n’est manichéen."
"Personne n’est bon ou mauvais. Dans Babysitter, les personnages se débattent tous avec leurs propres anxiétés, névroses et obsessions. C’est proche de la vie, et même si j’ai fait du film un conte, les personnages sont des personnages réalistes."
Monia Chokri est très peu intervenue sur le texte de Catherine Léger. En revanche, la cinéaste a créé des respirations qui n’existaient pas dans la pièce, comme la séquence finale avec ces patineuses à roulettes. Elle précise :"C’est grâce à ces respirations en image que j’ai pu créer un univers plus onirique. Comme la pièce a été écrite il y a plusieurs années, il a fallu réadapter certaines situations."
"Au départ, le personnage de Cédric n’allait pas voir un match de MMA mais un match de foot, et après le match, Cédric tombait sur une journaliste en train de faire son direct, se plaçait derrière elle et criait : « Fuck her right in the pussy ». Aux Etats-Unis, fût un temps, cette pratique était à la mode. Des mecs faisaient ça en rafale."
"Cette situation m’a semblé extrêmement agressive, comme cette phrase, qui est clairement un appel au viol. Je trouvais que ce n’était pas juste vis-à-vis du chemin qu’on a fait depuis quelques années, au Québec en tout cas. C’est comme ça qu’est venue l’idée du baiser volé."
Monia Chokri a opté pour une photographie vintage, rappelant le Nouvel Hollywood. Parmi ses principales inspirations, la réalisatrice cite Les Lèvres rouges de Harry Kümel et 3 Women de Robert Altman. "J’ai vraiment voulu travailler la dimension du conte et de l’étrange, essayer de faire accepter des codes et conventions qui passent d’ordinaire moins bien au cinéma qu’au théâtre."
"J’ai envie de rendre hommage à un cinéma qui, justement, a longtemps porté un regard particulier sur les femmes, notamment les films d’horreur. J’aime le cinéma d’horreur mais c’est un genre qui me questionne beaucoup sur mes propres valeurs. Le cinéma d’horreur des années 60, 70, 80 et 90 aborde toujours les femmes de la même manière : elles sont presque toujours la source du mal et de la terreur."
Les décors ont été conçus pour être familiers au spectateur : cette maison de banlieue dans laquelle vivent Nadine et Cédric, le cabinet de la pédiatre qui ressemble au studio photo d’Anne Gedess ou le dîner dans lequel se retrouvent Cédric et son frère pour écrire. Monia Chokri raconte :
"La maison de banlieue, c’est le cauchemar de l’uniformisation bourgeoise, le diner, c’est un lieu typique de la culture américaine. J’avais envie d’évoquer le côté soyeux et plastique de Pleasantville. Quant à la clinique pédiatrique, elle a été construite de toutes pièces par ma chef décoratrice qui s’est inspirée de photos de cabinets de pédiatres aux Etats-Unis qui avaient en effet un sens de la décoration intérieure très kitsch."
Patrick Hivon, qui incarne Cédric, avait joué Karim dans La Femme de mon frère, précédent et premier film réalisé par Monia Chokri.
Si La Femme de mon frère a été tourné en 16mm, Monia Chokri a ici opté pour le 35mm : "Tout simplement parce que j’aime cette texture d’image. On peut faire de très belles choses avec le numérique je le conçois, mais, pour moi, rien ne bat le grain de la pellicule, et ce n’est pas anodin si des réalisateurs comme Paul Thomas Anderson ou Xavier Dolan tournent leurs films en pellicule.
"C’est une question d’oeil et de goût. Josée Deshaies, la directrice de la photo, a beaucoup tourné en pellicule, et puisqu’il y avait beaucoup de scènes nocturnes dans le film, on avait envie de passer au 35mm aussi, pour que ce soit plus facile à manoeuvrer. J’ai aussi la chance d’avoir des producteurs qui ont des envies similaires aux miennes."
Le tournage de Babysitter a commencé mi-août, en 2020, à la suite du confinement, avec des mesures sanitaires sévères. Monia Chokri se souvient : "On était dans l’expérimentation la plus totale, et les conditions, comme je le disais plus tôt, étaient très rigides. Les mesures sanitaires étaient extrêmement sévères. Ca a évidemment été une source de stresse, parce que qu’il y avait aussi des bébés sur le plateau. On ne peut pas jeter un bébé dans les bras d’un acteur et dire « action » ! Il faut passer du temps avec le bébé, l’apprivoiser… Et puis, il est sage quand il doit pleurer ou il dort quand il doit être réveillé…"
La comédienne française Nadia Tereszkiewicz interprète Amy, la babysitter. Dans la pièce, le personnage est une étrangère. Monia Chokri a alors cherché des actrices françaises pour l'interpréter et est tombée sur la photo de Nadia sur le site d'une agence. La réalisatrice se remémore : "Et j’ai regardé ce qu’elle avait fait, dont une pub avec Catherine Deneuve où elle danse comme un chat."
"J’ai vu ensuite Seules les bêtes, et je l’ai trouvée là aussi très douée. Pour mes castings, j’ai toujours la même méthode : j’envoie le scénario aux acteurs et actrices, je leur donne un premier rendez-vous dans un café, pour discuter, et ensuite, j’organise une lecture face caméra, accompagnée de la directrice de casting. C’est un processus assez long. Mais quand j’ai rencontré Nadia, ça a été comme une évidence."