Nouveau venu dans le paysage cinématographique français, Jean-Baptiste Durand signe avec Chien de la casse un premier film détonnant, subtil et profond, sur une histoire d’amitié tumultueuse. Un coup d’essai qui laisse présager un avenir radieux.
Chaque année, le cinéma français nous offre pléthore de premiers films par de jeunes auteurs. L’occasion de découvrir dans ce maelstrom prolifique, des visions du monde, des regards à la diversité aussi réjouissante qu’inégale. Et des petites pépites. Sans nul doute, que l’arrivée sur nos écrans de Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand fait figure de prétendant à la dernière catégorie. Et quelle réjouissante nouvelle.
Hasard du calendrier, The Banshees of Inisherin de Martin McDonagh, sorti au crépuscule de 2022, traitait lui aussi d’une relation d’amitié fiévreuse sur une île isolée au large des côtes irlandaises. Des similitudes amusantes entre les deux films mais la comparaison s’arrête ici. De ce conte magnifique absurde et poétique, Chien de la casse lui préfère une approche, non moins poétique, tout aussi profonde mais hautement plus naturaliste.
Tout commence à Le Pouget, petit village du sud de la France. Les journées se suivent et se ressemblent pour Dog et Mirales, amis depuis l’âge de douze ans. Dog est discret, timide, introverti. Mirales est son opposé : trublion, fin parleur et chambreur. Parfois un peu trop. Un quotidien qui se résume à traîner sur la place du village, jouer à FIFA, refaire le monde sans que le leur avance. Et puis, un micro événement va mettre la pagaille dans cette tranquillité environnante : l’arrivée d’Elsa, étudiante bretonne au sein du village. Le temps des changements et des introspections est arrivé.
SOLITUDE MODERNE
La peur de la solitude ; Trouver sa place dans le monde ; Le temps qui passe. Des maux contemporains dont s’est saisit le cinéma et nombreux artistes ces dernières années. Avec ses variations et son identité propre, Chien de la casse, vient apporter une pierre de plus à l’édifice.
C’est d’abord une histoire d’amitié douce-amère. A la fois tumultueuse et attachante, dure et tendre. C’est sur ces variations de registre, apportant une belle complexité dans les relations qu’il tisse entre ses personnages, que le film va habilement se développer. Refus du manichéisme et de misérabilisme, c’est bien la profondeur de ses thématiques – sous-jacentes mais bien présentes – qui fait le sel et la réussite de ce premier long-métrage. Elles viennent l’enrichir, l’alimenter et annihile ainsi toute facilité.
AMOUR RURAL
Ce n’est évidemment pas un hasard si cette histoire se situe dans un petit village du Sud de la France. Depuis son premier court-métrage, Il venait de Roumanie (2014), Jean-Baptiste Durand n’a eu de cesse d’explorer les territoires ruraux et périurbains, d’y placer le centre de ses histoires. Une œuvre globale qui transpire l’amour du rural, des petits villages, de cette poésie du quotidien, avec un attachement quasi viscéral pour un cinéma se revendiquant territorial.
Avec Chien de la casse (titre très accrocheur au passage), Jean-Baptiste Durand continue d’explorer ses thématiques chères, en variations, de l’amour et de l’amitié, sans quitter les terres héraultaises chère à son cœur. Il poursuit ainsi un travail, empli d’amour et d’affection, avec une désarmante finesse et une écriture au cordeau. Un film qui sait également cueillir le spectateur là où on ne l’attend pas forcément, par des variations narratives malines.
Jouant avec un décalage poétique très touchant, le film emprunte la voie d’un réalisme poétique que ne renierait pas le cinéma italien néo-réaliste. Il évite ainsi beaucoup d’écueils liés aux premiers longs-métrages, notamment dans cette volonté de trop-plein. Tout est étonnamment épuré, mesuré et calibré. Il donne l’espace suffisant à son propos en évitant la surenchère. Le film trouve son espace, son tempo et son existence dans la finesse des relations qu’il tisse entre les personnages, ô combien fascinants et touchants dans leur fébrilité, leur humanité.
L'ECLOSION QUENARD
Autre atout majeur, la présence magnétique de Raphaël Quenard, qui continue son ascension au sein du cinéma français. Après des seconds rôles remarqués dans notamment Fragile, Coupez ou encore Fumer fait tousser, l’acteur trouve ici un terrain de jeu à la hauteur de son talent : déroutant dans les ruptures de ton qu’il est capable d’apporter, saisissant dans la profondeur de son regard.
On le savait à l’aise dans les rôles de trublions, de bouffon malin, où sa prose maline fait des merveilles. Ici Jean-Baptiste Durand lui donne l’opportunité d’étendre son talent. Au delà de ses monologues inspirés & autres punchlines bien senties, le film lui permet de trouver une profondeur émotionnelle jusqu’alors sous-exploité. Il rayonne par sa richesse de jeu, élargit sa palette et devrait encore plus attirer les regards et accentuer le désir des cinéastes à son encontre.
En face, Anthony Bajon, à peu près partout dans le cinéma d’auteur et populaire français, signe lui, un rôle tout en retenu. Exercice pas moins difficile que celui de Quenard, mais dans laquelle sa belle sensibilité s’exprime dans les silences. Elément déclencheur de l’histoire, Galatéa Bellugi apporte au personnage d’Elsa, son jeu malicieux et charmant empruntant à la fois au culot de Mirales qu’à la sensibilité de Dog.
Ce duo, complémentaire – dans l’écriture et la présence sur l’écran – donne une épaisseur dramatique bienvenue. Un premier long-métrage qui aura su miser sur ses talents pour éclairer la beauté et la poésie de son sujet. De ce choix de duo judicieux, le long-métrage en tire toute la sève de son potentiel initial. Flair de chien.
A la fois célébration de son territoire, terrain de jeu sublime pour ses acteurs et témoin de maux contemporains, cette première œuvre réussit à peu près tout ce qu’elle entreprend avec une douceur-amère et une subtilité remarquable. Parce qu’au final, tout n’est question que d’amour, dans ses expressions maladroites mais sincères, et finalement d’une humanité bien loin de ces fameux chiens de la casse.
Article à retrouver sur Le Mag Du Ciné