Le temps a durablement joué en faveur de Pixar, autant dans les thématiques que le studio d'animation défend que dans les esprits. Quand bien même les enfants qui ont pu grandir avec des jouets pleins de vie, explorer les fonds marins, goûter aux plats rustiques francais, voyager dans un espace onirique, célébrer la réconciliation avec ses aïeux, il s'agit souvent d'une aventure à deux avec son ou ses accompagnants. Un Pixar n'est pas un rendez-vous aussi calibré qu'un Disney sans prétention, c'est avant tout une délicieuse épopée qui nous renvoie à nos réalités désenchantées. En gardant cet objectif à l'horizon, la majorité de ces films ont eu raison de notre sensibilité, révélant ainsi le cœur de tout spectateur en convoquant de pures émotions. Qu'en est-il de cette dernière échappée ?
Présenté en clôture du festival de Cannes 2023, Élémentaire fait la promesse de retrouver l'équilibre que Pixar a perdu depuis un moment. La maison mère Disney en avait déjà piqué l'esthétique et gommé la magie émotionnelle dans Encanto. Il est difficile de croire que le studio avance sans une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Après la débâcle interstellaire de Buzz, l'éclair et cette stratégie diabolique de Mickey pour nous écarter des salles obscures, nous sommes en droit de nous demander si un avenir radieux est envisageable depuis le départ anticipé de John Lasseter, patriarche et âme de Pixar. Cela concorde avec le discours d'une seconde vie, d'une seconde chance, avec Soul. L'enjeu est donc de taille dans cet ultime carrefour où les quatre éléments risquent d'entrer en collision.
Peter Sohn, qui avait déjà détourné l’astéroïde de la trajectoire des dinosaures dans Le Voyage D’Arlo, revient avec un récit personnel, un peu à l’image de Domee Shi sur son Alerte Rouge. Il ne s’agit pas pour autant d’évoquer son enfance, mais bien de traiter de la xénophobie ambiante à travers une romance qui prend également ses distances de West Side Story. Dans un néo New-York fumant, liquide, gazeux et terreux, Flam aide ses parents à tenir la boutique de leur quartier. Quand bien même, cette dernière s’enflamme un peu vite, son père cherche à lui transmettre ce bien familial, ainsi que toute la culture volcanique qui les concerne. Ces immigrés à l’accent identifiable, s’efforcent d’exister en périphérie d’Element City, dont les transports et autres services publics ne sont pas adapté à leur présence. C’est là que la jeune Flam déjoue toutes les attentes des ses aïeux, en se rapprochant de plus en plus de Flack, un être aussi émotif que le reste de sa famille embourgeoisée.
Malheureusement, les éléments terriens et aériens sont mis en retrait ou au service de gags insignifiants. La connexion entre Flam et Flack intéresse particulièrement le cinéaste, qui en profite pour nous dévoiler l’impasse de son héroïne vis-à-vis de sa trajectoire sentimentale et sociale. Leur complémentarité possède pourtant un avenir et Flam peut entrevoir sa destinée à travers Flack, littéralement. Ces instants de pureté volés sont d’une sincérité qui nous ramène aux plus grandes sensations de Pixar. Il ne manque que l’effroi et la possibilité de tout s’effondre pour que l’on s’implique davantage dans une aventure aussi prévisible. On choisit alors de rabattre la carte des traumatismes, séparant inévitablement deux générations distinctes, l’un conservatrices et l’autre ouverte au partage. Le rouge impulsif peut en effet se mêler au bleu mélancolique et cette idée se confirme lorsque l’on découvre les personnalités des héros, un peu à contre-emploi des modèles de virilité et de sagesse.
Il est seulement navrant d’apprendre que la musique est trop discrète. Et c'est avec ce genre de détails que Pixar perd du terrain sur son identité visuelle et narrative, celle qui nous agrippe à la gorge jusqu'au souffle libérateur de l'humanité. Une partie clipesque témoigne de la pauvreté d'un scénario qui préfère s'accrocher à l'intimité de son héroïne au lieu de traiter des bouleversements sociétaux d'Elément City. Ce n’est pas une évidence, mais il manque des couleurs sombres à ce portrait, un geste qui ouvrirait sur une confrontation avec la réalité dans laquelle vivaient les habitants avant que l'on brasse les différentes cultures entre elles. De même, le climax ne préfère pas se justifier, car on ne prend pas le temps de développer cette peur qui peut briser l’union de Flam et de Flack à tout instant. Le potentiel part en fumée et revient sous la forme d’une larme qui peine à sauter de nos yeux, davantage émerveillés par la maestria des matières en mouvement.
Si on est loin de lui accorder tout le mérite d’explorer les failles sociales de l’humanité, nous ne pouvons reprocher à Élémentaire de vouloir retrouver sa flamme à travers une comédie romantique, dont on retient davantage son enrobage que son propos d'inclusion à moitié assumé. Il n’y a pas de quoi se mettre dans tous ses états lorsque la tension ou un antagoniste manque à l’appel, ne serait-ce que cet environnement New-yorkaise, qui pose des étiquettes sur ses citoyens. Là où il s’agissait du propos de Zootopie, où proies et prédateurs devaient unir leur effort, l’eau et le feu se maintiennent ici davantage à distance qu’ils ne resserrent l’espace entre leurs deux mondes, leurs deux cultures et leurs deux générations. C’est bien connu que les opposés s’attirent, mais l’attraction manque encore d’étincelle et de magie pour qu’on se laisse pleinement envouter.