Pornomelancolia : les secrets du tournage

Pornomelancolia s'inscrit dans une série de travaux personnels effectués par Manuel Abramovich et ayant pour thème la masculinité. Le cinéaste confie : "Depuis leur plus jeune âge, on demande aux hommes d'incarner une image virile. Je ne suis pas certain de vouloir continuer à jouer ce personnage et à me soumettre à cette injonction. J'ai donc entrepris des recherches et à travers elles, j'ai questionné mon propre rapport à la masculinité, un peu en crise actuellement."

"La relation qui existe entre une personne et un personnage est au centre de tous mes films. Le monde est comme une scène de théâtre. Trouver ces moments de fiction dans le réel m'intéresse. C'est pour cette raison que j'aime inviter des individus à devenir des personnages dans mes films. Ceux-là mêmes que nous sommes obligés d'incarner pour vivre ou survivre dans des contextes particuliers. Parfois, ces personnages nous aident à cacher nos émotions."

En 2017, Manuel Abramovich a mis en scène Soldado, un film tourné en Argentine sur l'armée qu'il a représentée comme une troupe de théâtre. Le réalisateur a ainsi montré les soldats comme des personnages qui endossent chaque jour un uniforme leur apprenant à se diluer dans l'anonymat, à oblitérer leur personnalité et désirs. Il se rappelle :

"Après ce film, j'ai tourné à Berlin, où je vis depuis plusieurs années, un court métrage qui s'appelle Blue Boy (2019). Il met en scène un groupe de prostitués roumains dans le quartier homo de Berlin. Le film portait là encore sur le rapport entre le jeu d'acteur et le travail du sexe car il s'agit de construire un personnage pour séduire les clients."

"Et pour compléter cette trilogie, je voulais travailler sur le thème de la pornographie. J'ai rencontré un producteur mexicain de porno qui est le réalisateur que l'on voit dans mon film. La boîte de production qu'il dirige questionne l'identité mexicaine à travers le cinéma porno, ce qui était très intéressant pour moi. C'est par ce biais que j'ai rencontré Lalo Santos."

Lorsque Manuel Abramovich a vu Lalo Santos pour la première fois sur les réseaux sociaux, il a été fasciné. Le cinéaste a eu l'impression qu'il était le metteur en scène de sa propre existence : "Il était très conscient de cette idée de personnage et de fiction qui traverse le réel. Il me semblait en accord avec tout ce qui m'intéressait de l'ordre de la fiction, de la théâtralité, du travail du sexe, du VIH, de la dépression, du techno-capitalisme. J'ai vu en Lalo le personnage parfait."

"Je lui ai proposé de faire un film ensemble et de mener des recherches conjointement sur des sujets qui nous intéressaient tous les deux. Mes films se fondent toujours sur une idée de collaboration car ils sont très personnels et intimes. C'est pourquoi, nous avons passé beaucoup de temps à discuter de ce que serait Pornomelancolia. Je l'ai invité à créer un personnage qui ne serait pas exactement lui-même, qui lui ressemblerait mais qui serait aussi un personnage de fiction."

"On a beaucoup travaillé sur le regard et le tournage s'est organisé comme une fiction, à laquelle on intégrait des souvenirs et des expériences de Lalo. Mais parfois, c'était de la fiction pure. On a imaginé le film terminé et ce moment où Lalo le verrait, comme s'il se regardait dans un miroir un peu déformé. Car ce n'est pas exactement la réalité, ni un documentaire, ni une fiction dans lequel il joue un personnage : il s'agit d'un entre-deux", se souvient le metteur en scène.