L'inspiration première de The Northman ? L'Islande et ses reliefs variés, dont on a pu admirer la magnificence durant la dernière décennie au cinéma ou à la télévision. Des étendues glacées d'Interstellar au paysages montagnards de Game of Thrones en passant par les landes que traversait Walter Mitty lors de son grand voyage. C'est peu dire que la contemplation de telles merveilles stimule l'imaginaire en un rien de temps : un voyage, une épopée, une quête, que sais-je...Cela étant dit, le réalisateur Robert Eggers aurait bien du mal à cacher les énormes influences de Shakespeare et Conan sur son nouveau film. D'ailleurs, il ne les cache même pas, l'introduction assume d'emblée la filiation avec le monument fantasy de John Millius. Du reste, le résumé est clair : Amleth, un père à venger, un oncle à assassiner. L'ambition n'est pas de changer l'histoire, mais de la revisiter à sa manière. Ce que fait Eggers, quand bien même le brio est à pondérer.
David Lowery n'a eu que 15 millions de dollars pour donner vie à The Green Knight et ça suffisait. Le réalisateur de The Witch et The Lighthouse s'est vu allouer la coquette somme de 70 millions pour emballer The Northman. Une bagatelle qu'il n'a pas dilapidé en fonds verts et duplications numériques, à n'en point douter. Sa création repose essentiellement sur des plans-séquences qui fourmillent de vie, de mouvements et de matière. Dans cet esprit, la première bataille est douloureusement virtuose quand le grand final est une éruption de rage. Chaque étape dans le voyage d'Amleth a été soigneusement pensé comme une expérience à faire ressentir à son spectateur. Eggers se permet donc de jouer avec la photographie sur les scènes nocturnes, quasiment en noir et blanc, ou les élucubrations du héros vengeur. Ce qui offre un très beau moment, quand le héros vengeur récupère Draugr, son épée. À d'autres instants, c'est au détour d'une conversation impliquant Gudrún (Nicole Kidman, excellente) que la menace grandit avec des plans de plus en plus resserrés. Esthétiquement, le long-métrage entérine les grandes qualités de son metteur en scène quand il s'agit d'atmosphère et d'originalité. C'est quand on regarde par delà l'image qu'on trouve les problèmes.
La narration prend le parti d'une transposition littérale d'une prose évoquant directement Shakespeare. Pour peu qu'on y voit un décalage entre ce ton précieux et la grande rudesse de l'univers décrit, il est probable que cela perdure sur les 2h18. Cela alourdit considérablement le film pour deux raisons. La première, c'est que cela surligne des choses dont le sens étaient déjà clairs. Secundo, ce verbiage donne surtout l'impression d'un remplissage inutile pour combler une histoire dont vous connaissez déjà l'essentiel si vous avez lu le résumé. Une (grosse) limite que j'avais déjà pointé sur The Lighthouse, et c'est dommage parce qu'arrivé à mi-parcours, Eggers semblait faire obliquer cette relecture du folklore nordique vers une remise en cause du rôle de son héros et de sa Némésis. Ce qui aurait pu conduire le récit sur une voie plus subtile et mature. **On empruntera pas cette voie-là, tant pis, le chemin reste le même et le style assez bourrin, spécialement dans sa première demi-heur**e (le score de Robin Carolan et Sebastian Gainsborough n'est pas loin d'être assourdissant).
Du bel ouvrage qui ne raconte pas grand chose, et ce n'est pas faute d'y avoir mis les moyens. Compte tenu de l'ambition et de la manière, c'est presque un miracle que The Northman existe tel quel. Espérons que son échec ne limitera pas trop Robert Eggers sur ses prochains films, car le cinéaste donne à voir.