En 2013, après une projection du premier film d’Alexe Poukine, une jeune femme, Ada, est allée à la rencontre de la réalisatrice pour lui parler des viols qu’elle avait subis de la part d’un même homme pendant une semaine. « Ce qui m’a choquée, c’est que moi, qui suis plutôt « féministe primaire » disons, j’ai réalisé que j’éprouvais une sorte de scepticisme. Ça ne correspondait pas à l’image que j’avais d’un viol, commis la nuit, par un inconnu, dangereux et armé… » De plus, son récit comportait des incohérences, en raison d’un phénomène de dissociation et d’une mémoire parcellaire. Des mécanismes provoqués par le traumatisme du viol et dont la réalisatrice n’avait alors pas connaissance. Après avoir découvert des expériences similaires vécues par des femmes de son entourage, Alexe Poukine a ressenti le besoin de partager le témoignage d’Ada : « L’une des raisons qui m’a poussée à réaliser ce film est la certitude que l’histoire d’Ada n’était pas une simple catastrophe personnelle, mais qu’elle faisait partie d’un phénomène sociétal d’une grande ampleur. »
La réalisatrice voulait éviter de faire témoigner Ada face caméra, pour que la violence n’occulte pas le propos. Elle a donc décidé de prendre un détour fictionnel en demandant à Ada d’écrire son histoire et à plusieurs personnes de prendre sa place : « En choisissant qu’Ada n’existe que par le récit, j’ai voulu que le spectateur constitue lui-même l’image de cette femme, à travers des visages qui pourraient tous être celui d’Ada et qui en même temps ne sont pas elle. Je voulais que ce visage inventé, universel car démultiplié, porte le spectateur d’un bout à l’autre du film. »
« Si le film mélange jeu et témoignage en une mise en abyme du récit à travers ses protagonistes, il s’agit bel et bien d’un documentaire : il documente non seulement l’histoire d’Ada, mais aussi celles des personnes qui l’incarnent et font liens avec elle », souligne Alexe Poukine.
La moitié des participants ne sont pas comédiens professionnels. « Il fallait trouver des personnes qui aient quelque chose à dire sur le sujet », explique la réalisatrice. Elle a filmé des commissaires, des avocats, des psychologues, des prostituées, des sociologues, des linguistes mais aussi plusieurs de ses amies très proches. « Le début du film est surtout dit par des comédiennes parce que je pensais qu’ainsi, nous serions plus facilement emportés dans l’histoire. J’avais un peu peur que les non comédiens, par un jeu peut-être un peu plus maladroit, nous empêchent d’y entrer vraiment. »