Il y a trois arbres dans «Providence» (Grande-Bretagne, 1976) d’Alain Resnais, celui, touffu et sombre, de la création ; celui, décharné et flétri, de l’imagination atrophiée et celui, fleuri et vert, de la vie. Chacun de ces arbres incarnent une «nappe du temps» comme le dit Deleuze. Ce récurant objet de travail chez Resnais, qu’est l’accointance du réel avec la fiction, donne là le fruit de l’impétueux récit d’un vieil écrivain. A l’aube de ses jours, le romancier réinvente sa vie et la réordonne dans un monde totalitaire fictionnel. Ce film de Resnais, mixe les couches de diégèse, passant de la diégèse première (le réel du film) à l’intra-diégèse (l’univers imaginaire du film). Entre ces deux étapes, ces deux pôles, l’écroulement de la vie chez l’écrivain ébranle et met en tension. C’est ainsi que l’imaginaire de l’homme lui joue des tours, la folie guette. Ce «footballeur» errant échappe à l’écrivain sans que nous ne sachions, in fine, l’enjeu de son apparition. Toutefois, la réussite du film n’est pas tant dans ce jeu du réel avec la fiction (Resnais l’a tellement mieux fait comme dans «La vie est un roman»), c’est surtout cette métamorphose opérée qui donne à la vie sa prédominance sur la fiction. Resnais le sait, la mort est une affaire de réel et non de fiction. L’idée n’est pas explicitée par «Providence» mais elle l’entoure : de la mort seul l’ouvrage survivra. L’ouvrage du romancier est à la fois sa littérature et sa progéniture. Cet ouvrage est réuni en un seul, la progéniture et la littérature malmenée en une nuit dans les délires d’une mort avenante. A la fois que s’allient le réel et la fiction, se confondent, comme souvent chez Resnais, la vie et la mort. Les deux premiers arbres du film, et surtout leur ordre d’apparition, laissent croire à une triste issue. Or le panorama à 360° sur le champ vert d’un printemps nouveau laisse espérer le prolongement de la vie. La mort, dans le réel, est reléguée à sa simple évocation, elle reste en hors-temps.