Avec Un autre monde, Stéphane Brizé a voulu rendre compte des conséquences du travail de ceux qui sont considérés comme le bras armé de l'entreprise mais qui sont simplement des individus pris entre le marteau et l'enclume. Il explique : "Le film met en scène la perte de sens de la vie d'un cadre d'entreprise qui, en même temps que son mariage s'effondre, a de plus en plus de difficultés à trouver de cohérence dans un système qu'il sert pourtant depuis des années."
"Un système dans lequel il lui devient extrêmement compliqué d'appliquer vers le bas des injonctions venues d'en haut. De nombreux cadres nous ont raconté, à Olivier Gorce mon co-scénariste et moi-même, une vie personnelle et professionnelle à laquelle ils parviennent de moins en moins à donner de sens parce qu'on ne leur demande plus notamment de réfléchir mais simplement d'exécuter."
Avec Un autre monde, Stéphane Brizé retrouve son acteur fétiche Vincent Lindon après Mademoiselle Chambon (2009), Quelques heures de printemps (2012), La Loi du marché (2015) et En guerre (2018). A noter que Sandrine Kiberlain, mariée à Lindon de 1998 à 2003, a joué dans Mademoiselle Chambon et Quelques heures de printemps. Le réalisateur confie : "Sans révéler de grands secrets, la nature de leurs liens passés, résonne d'une manière particulière dans ce qu'ils ont ici à jouer."
Contrairement à La Loi du marché, Une vie et En guerre, pour lesquels Stéphane Brizé a opté pour une mise en scène visant à capter le réel, il a voulu avec Un autre monde réintroduire un degré de fiction beaucoup plus fort. Il explique :
"La caméra n'est donc plus placée à l'endroit qui traduirait le «je me mets où je peux», elle se met là où elle rend compte bien plus subjectivement de la situation. Que ce soit à l'endroit de l'intime ou du professionnel. La multiplicité des axes dans certaines scènes traduit la sensation d'encerclement, d'enfermement du personnage. Les problèmes arrivent de partout, il n'a pas de répit, comme un homme en mer sur une embarcation percée de toute part, qui essaie d'empêcher l'eau de s'engouffrer par toutes les failles des parois."
Le très à la mode Anthony Bajon joue le fils de Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain. Stéphane Brizé raconte : "Le rôle est casse-gueule et la ligne de crête est fine. Anthony est ici l'enfant symptôme à la fois des dysfonctionnements de la famille et de notre société, celui qui veut être à la hauteur du désir de sa famille et de son environnement mais qui explose en vol en faisant ce qu'on appelle une décompensation."
A noter que, pour sa première réalisation de long métrage, Une jeune fille qui va bien, Sandrine Kiberlain a choisi le jeune comédien pour jouer l'un des trois rôles principaux.
La journaliste Marie Drucker, qui joue ici pour la première fois dans un film, a passé le casting d'Un autre monde au même titre que tous les non-professionnels qui incarnent les autres rôles. "Elle a arrêté son métier de journaliste il y a plusieurs années, elle n'est pas encombrée de son image et de ce qu'on peut attendre d'elle ou de ce qu'elle doit représenter. Elle a l'âge, le physique, l'intelligence et aussi la maîtrise du langage de l'entreprise. Et elle s'amuse ici à incarner le bras armé du système, pleine de l'assurance du camp des victorieux de la mondialisation", explique Stéphane Brizé.
Un autre monde raconte l'histoire d'une entreprise juste avant les licenciements, En guerre l'annonce du plan social et La Loi du marché le quotidien d'un de ces salariés mis sur la touche. Une sorte de trilogie qui se déploie sur trois périodes clés témoignant des mécanismes de destruction des emplois en même temps que ses conséquences humaines. Le metteur en scène Stéphane Brizé précise :
"Chaque film s'est construit sur le précédent. Un sujet entraînant des rencontres, des rencontres entraînant de nouvelles réflexions, ces réflexions entraînant un nouveau sujet. La chronologie du drame social s' est alors construite à rebours. D'abord le chômeur de longue durée et au final l'histoire de ceux qui organisent ce chômage en passant par la lutte inégale des salariés contre l'entreprise."
"Il s'est agi, à hauteur d' hommes, de raconter causes et conséquences de cette immense machine à broyer. Aussi bien du point de vue de celui qui tape que de celui sur qui on tape. Et pour autant, si un fil de réflexion a permis de construire et de lier ces trois films, ceux-ci n'ont aucune vocation à se ressembler. Un autre monde convoque plus de fiction, de romanesque et de l'intimité du personnage que les deux précédents."