Adapter un best seller est toujours un pari dangereux, Régie Roinsard sait qu’en proposant ce film, il va se heurter aux fans du roman et qu’il va fatalement les décevoir. Dans mon cas, aucun risque puisque je n’ai pas lu le roman d’Olivier Bourdeault, je ne peux donc pas être déçue par l’adaptation, le choix des comédiens ou des éventuels coupes dans l’intrigue. Je découvre donc « En Attendant Bojangles » avec un œil de néophyte. Sur la forme, bien qu’un peu trop long, le film est assez réussi. L’habillage musical est très chouette, mélange de musique des 60’s puis de rythmes espagnols dans la dernière partie (avec un magnifique flamenco en prime), la reconstitution est minutieuse et… pléthorique. Les décorateurs, accessoiristes et costumiers ont fait un travail de fourmi car on assiste à une débauche de détails des années 50-60. Il ya tellement d’objet dans l’appartement de la famille, tellement de tenues différentes qu’on a l’impression d’être dans une boutique d’antiquaire géante ! Même s’il souffre de quelques longueurs et qu’on peut légitimement le trouver trop bavard par moment, le film passe bien. Les dialogues sont franchement déconcertants. J’imagine que faire parler des personnages, et même le jeune Gary, comme des livres, avec une métaphore toutes les trois phrases, fait parti de l’âme de l’intrigue et qu’il n’y avait aucun moyen d’y couper. Mais ce qui peut passer crème à l’écrit rend quand même étrangement sur grand écran. Ce genre de dialogues hyper écrits, très littéraires, presque déclamés comme sur une scène de théâtre, cela à deux défauts : on a bien du mal à y croire et cela donne une perche aux acteurs pour cabotiner. Et c’est quand même un peu ce qui arrive dans les deux cas. Si Virginie Efira est à son affaire en incarnant une jeune femme dont le grain de folie
grossi jusqu’à devenir problématique
, elle est parfois quand même deux doigt d’en faire trop. Romain Duris semble avoir un peu de mal à se situer dans ce couple de cinéma. On sent qu’il navigue en eaux trouble, ne sachant trop jamais s’il en fait trop (la scène d’ouverture fait craindre le pire en termes de cabotinage !) ou pas assez. Du coup, on a tendance à être un peu moins indulgent avec lui qu’avec Virginie Efira. Le petit Solan Machado-Graner fait de son mieux mais c’est là aussi difficile d’incarner un enfant qui n’est pas réellement un enfant comme les autres. Si ses parents semblent être restés des enfants, lui joue au petit adulte tout en restant sur les codes de l’enfance, c’est un grand écart compliqué. Dans un second rôle, le seul en réalité, Grégory Gadebois aurait pu être mieux exploité, plus écrit. Quand on a chance d’avoir au casting un acteur de ce calibre, c’est toujours dommage de ne pas l’exploiter à fond. L’intrigue du film est entièrement focalisée sur la folie de Camille puisque c’est elle qui donne le ton, c’est cette folie qui fait de cette famille ce qu’elle est.
Est-elle bipolaire, schizophrène, souffre-t-elle d’un syndrome post traumatique jamais soigné ? Peut-être un peu de tout cela. La source de tout cela est évoqué au travers d’une phrase en début de film et on y reviendra jamais : après la Guerre le jeune Camille a perdu son père dans des circonstances dramatiques, elle a connu la misère et même la faim, elle a dû faire le trottoir pour survivre. Qui peut savoir ce que ce genre d’épreuve peut casser chez une personne si jeune ?
Dés lors, Camille ne deviendra jamais réellement adulte, fuyant toutes ses responsabilités
(elle n’ouvre jamais son courrier, organise des fêtes déjantées chez elle tous les soirs, ne paye pas ses factures, retire son fils de l’école)
, elle est en roue libre et Georges, fou d’amour, court derrière au lieu de la canaliser. Le jeune Gary vit une vie rêvée pour un gamin de son âge. Le prix à payer sera forcément terrible.
C’est d’abord les huissiers qui rattrapent la famille, avant la psychiatrie des années 60. Et la psychiatrie des années 60, c’est de la brutalité et des médicaments qui abrutissent, c’est tout ! Les courtes scènes à l’asile sont assez terrifiantes.
Le film, qui avait débuté comme une comédie déjantée,
file tout droit vers le drame qui ne manque pas d’arriver
. Quant à la fin, je ne sais pas trop quoi en penser,
elle me parait presque plus effrayante et amère que romantique
. Quand le jeune Gary demande « Je me demande comment les autres enfants font pour se passer de mes parents », on comprend que cette phrase résume tout le propos du film. Gary aura été l’enfant de parents qui était eux même restés des enfants. Cette confusion des rôles, charmantes à ses yeux, et malgré tout fort déroutante pour le spectateur. Que penser de « En attendant Bojangles » ? A vrai dire je ne sais pas trop, c’est un film aussi étrange et inclassable que son personnage principal !